jeudi 1 mars 2018

Soirée vraiment étonnante autour des cépages oubliés


Mardi soir, j'ai vraiment eu l'impression de renouer avec l'esprit originel de Vins étonnants : proposer des cuvées qui sortent des sentiers battus, issues de cépages qui apparaîtront improbables à beaucoup, y compris de certains amateurs qui se croient pointus. Parmi tous ces cépages, un seul pour l'instant a réussi à sortir d'un quasi-anonymat  : la Carmenère, devenue en vingt ans l'icône de la viticulture chilienne. Les autres restent confidentiels : tout au plus quelques dizaine d'hectares dans le monde. Et pourtant, nous le verrons, ils gagneraient à être connus et replantés. 

Comme d'habitude, la soirée s'est passée au Déjeuner sur l'herbe à Limoges, où Florent nous a préparé un repas "à l'ancienne", comme je le lui avais demandé. 


Avec de l'excellente charcuterie locale, nous avons bu un Ondenc Memoria 2015 du Domaine d’Escausses. Ce vin a tout : rondeur, léger gras, fraîcheur, équilibre, certaine minéralité. Une jolie forme, du fond. C'est vraiment bon, avec un super rapport qualité/prix (10.90 €).

L'Ondenc, cousin du Petit Courbu, était largement planté en Aquitaine avant le Phylloxera – y compris dans le Bordelais. Mais il a été supplanté ensuite par le Sauvignon et le Sémillon (trop sensible au Mildiou et l'Oïdium). Si Robert Plageoles ne l'avait pas sauvegardé il y a une trentaine d'années, il aurait probablement disparu en France. Contrairement à ce qui est écrit ici ou là – probablement à cause de Wikipedia France – il n'en reste que très peu aussi en Australie. Il eut certes un beau succès au XIXème siècle sous le nom d'Irvings'white et de Sercial (sic), mais là-bas aussi, il a été lâchement abandonné. Il en restait 23 ha en 1990, et la situation semble s'être encore dégradée depuis.


Avec un filet de maquereau, sauce (légèrement) moutardée, nous avons bu deux vins en parallèle : un Cour-Cheverny François 1er 2014 du domaine des Huards et une Verdesse 2016 de Nicolas Gonin. Le premier a vraiment de la classe : il a la prestance d'un beau Chardonnay avec un petit quelque chose en plus qui évoque le Riesling ou le Chenin. Bref, ça pourrait être LE cépage qui réconcilie tous les amateurs de beaux blancs. Ce fut le cas hier soir où il a fait sensation. La Verdesse joue sur un tout autre registre : une maturité un peu plus poussée, contrebalancée par une acidité de ouf' qui rendrait jaloux un Gros Manseng. Cette acidité allait remarquablement bien avec la sauce du poisson : on frôlait l'accord parfait. Je ne suis pas sûr que ce vin soit adapté à tous les palais, mais hier soir, il a été unaniment apprécié. 

Le Romorantin, présent sur une cinquantaine d'hectares en France, aurait, dit-on, été ramené de Bourgogne par François 1er en 1519 pour lui fournir ce vin blanc au château de Chambord – où il n'a quasiment jamais vécu – et au château familial de Romorantin. Le Romorantin, à l'instar du Chardonnay, de l'Aligoté, du Gamay et du Melon de Bourgogne, est issu du croisement du Pinot noir et du Gouais blanc. Il est aujourd'hui introuvable en Bourgogne où le Chardonnay règne en maître. 

La Verdesse est un très ancien cépage originaire de l'Isère, remontant à une période où la vigne était beaucoup plus présente dans le département (40.000 ha au milieu du XIXème siècle !). Si elle fait partie des cépages autorisés, elle a pourtant quasiment disparu au profit des cépages "améliorateurs" (Chardonnay, Gamay). Il n'en restait que trois hectares en France en 2011.

Un vin qui n'était pas prévu au programme a été apporté par l'un des participants : un Persan 2012 de Nicolas Gonin. Un moment de dégustation assez  troublant car la bouche combinait des impressions pour le moins contradictoires : d'un côté, il était d'une fraîcheur et d'un peps insolent, de l'autre, l'aromatique était très tertiaire, dans un registre automnal, donnant l'impression que le vin était en fin de vie. Étonnant, quoi ;-)



Nous avons poursuivi le repas avec un boeuf bourguignon, chips moelleuses de pommes de terre et purée de panais. Une paire de vins rouges l'accompagnait : le Gamay de Bouze 2015 du domaine  Marionnet et un Nuit d'Encre 2012 du domaine Zélige-Caravent. Le premier est très facile d'approche : rond, mûr, fruité, gourmand. Mais derrière se cache un sacré caractère que je ne retrouve pas souvent dans le Gamay : je le trouve plus séveux, plus sanguin, plus épicé. Il rejoint en beaucoup de point Sanguine de Vin & Pic, un vin qui avait été bien apprécié par le même groupe il y a quelques mois. Il présente un très bon rapport qualité/prix (11.50 €). Le Nuit d'encre impose le respect dès que l'on met le nez sur le verre. En bouche, il y a une matière somptueuse équilibrée par une grande fraîcheur. Un vin superbe qui fait l'unanimité. Finalement, même si le tarif n'est  pas tout doux (17.90 €), c'est lui aussi un très bon rapport qualité/prix.  J'en reparlerai prochainement sur le blog... 

D'après le traité d'ampélographie de Viala-Vermorel, le Gamay de Bouze a pris naissance en Côte d'Or, vraisemblablement à Bouze, petit village des environs de Beaune. C'est un Gamay à jus rouge, le plus anciennement connu, et le père de tous les autres (Chaudenay et Fréaux). Le jus de ses raisins était très coloré, et donnait à l'époque des vins rustiques mais recherchés par leur générosité. L'INAO l'a exclu complètement des cépages recommandés il y a une quinzaine d'années. Cette variété a, aujourd'hui, pratiquement disparu et c'est par hasard qu'Henry Marionnet a pu récupérer une parcelle. 

L'Alicante-Bouschet est l'un des rares cépages noir à jus noir. D'où sa qualification de teinturier : dans tous les vignobles français, il y en avait toujours quelques rangs qui permettaient d'apporter de la couleur dans les années difficiles (il pouvait produire 250 hl/ha). Il est tombé en disgrâce dans les années 70-80 où il a été arraché au profit des cépages "améliorateurs" : Syrah, Merlot, Cabernet-Sauvignon. Il n'est reconnu dans aucune appellation.  Pourtant, lorsqu'on lui applique des faibles rendements – et que la vinification est menée avec doigté –  il peut produire des vins absolument fascinants, comme ce  Nuit d'encre.


J'avais choisi le Saint-Nectaire comme fromage, car je pensais que non seulement il ne nuirait pas aux deux vins rouges suivants, mais qu'il les mettrait en valeur. Ce fut le cas. Étaient donc servi en même temps le Du rat... des pâquerettes 2016 de Causse Marines et le K de l’Arjolle 2016 . Le premier charme par son fruit explosif, sa grande fraîcheur et son énergie – qui font du bien après l'impressionnant Nuit d'encre. Le K(armenère), lui, intrigue par son nez de cassis (autant liqueur et que fruit frais). Sa bouche est plus puissante, plus tendue, mais avec des tanins très fin, bien mûrs, et un cassis qui s'exprime tout autant en bouche (j'en parle ICI). Encore deux très beaux vins

Jusqu’en 2015,  on pensait le Duras originaire du Tarn puisque Robert Plageoles l'avait trouvé à l'état sauvage dans une forêt. Il s'avère être le fils du Savagnin et du Tressot, un cépage rouge de l'Yonne. Du coup, on comprend mieux cette finesse et cette fraîcheur peu communes dans le Sud-Ouest. Il aurait aussi une parenté avec le Petit Verdot, ce cépage frais et atypique du Bordelais.

Depuis quelques années, on a fini par s'habituer à voir le Carmenère dans les  rayons de "Vins du monde". Il fait presque partie  du décor de la viticulture mondiale. Et pourtant, celui-ci a failli disparaître, ou disons de se perdre au milieu d'une parcelle de Merlots d'une vigne chilienne. Au départ, le Carmenère, appelé aussi Grande Vidure, est l'un des cépages les plus répandus du Bordelais. Il est alors cultivé "en foule", à 20.000 pieds par hectare. Chaque pied donne peu de grappes, mais comme il y a beaucoup de pieds... Arrive le Phylloxéra qui détruit quasiment l'ensemble du vignoble. On trouve la solution du porte-greffe pour résister au maudit insecte. Sauf que le porte-greffe ne sied guère au Carmenère : il fait beaucoup de coulure (une grande partie des fleurs n'est pas fécondée, donc peu de raisins). Le cépage est abandonné, et oublié.

Avant ce séisme viticole, quelques chiliens dont Silvestre Ochiavaga, ont eu la bonne idée d'importer dans leur pays des plants des différents cépages bordelais, dont le Carmenère. Là-bas, il ne sera jamais arraché, mais il finit tout de même par être oublié. Puisqu'il finit par être confondu avec son demi-frère le Merlot (et commercialisé en tant que tel). En 1991, un professeur de l'Université de Montpellier, Claude Valat, se balade dans les vignes d'un domaine chilien (Carmen, dans la vallée de Maipo, le hasard fait bien les choses!)  et repère des pieds qui ne ressemblent pas aux autres. Il ramène un exemplaire en France et le confie à l'un de ses collègues, l'ampélographe Jean-Michel Boursiquot. En 1994, les résultats tombent : ce "Merlot pas comme les autres" est du Carmenère, un vieux cépage bordelais.

Les Chiliens voient alors une occasion de se différencier des autres producteurs mondiaux, et dès 1996 apparaissent les premières cuvées 100 % Carmenère. En plus d'être original, celui-ci offre des vins de meilleure qualité que le Merlot ou le Cabernet-Sauvignon. Il est également intéressant en assemblage avec ce dernier, sa rondeur faisant un beau contrepoint au jansénisme du Cab'Sauv'. En 2009, le professeur Boursiquot et Carole Meredith de l'Université de Californie à Davis ont découvert grâce aux tests ADN que le Carménère était issu d'un métissage intraspécifique  entre le gros cabernet N et le cabernet franc N, le gros cabernet étant un métis entre fer servadou N et txakoli.


Pour finir, j'avais suggéré un bon vieux flan, un dessert qui a été un peu oublié, comme les cépages de ce soir. Le coulis de framboise n'était pas prévu, mais ma foi, il ne ne bagarrait pas trop avec les vins. 

Un dernière paire était servie : deux liquoreux produit par le domaine Plageoles : l'ondenc 2015 et le Loin de l’œil 2015. Le premier est riche, onctueux, sur des notes de figue et de mirabelle. On peut lui reprocher un certain manque de tension et de fraîcheur. De ce point de vue, le Loin de l'oeil est nettement plus convaincant, avec une matière plus digeste et un registre moins confit (plutôt poire/miel d'acacia). 

Les pédoncules des grappes de Loin de l'œil étant grands, les baies se trouvent loin du bourgeon sur le rameau de vigne. De plus, nous retrouvons fréquemment les grappes au niveau du sixième nœud du rameau (contre quatre habituellement pour les autres cépages), ce qui peut expliquer également son nom.

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