Il y a un mois, Pascal Reigniez – ancien enseignant en anthropologie et chercheur associé au CNRS – m'a contacté pour savoir si ça pouvait m'intéresser de lire son ouvrage "Au pays de la vigne et du vin, la Géorgie". Je lui ai tout de suite répondu par la positive, car même si j'ai bu déjà bu pas mals de vins géorgiens et consulté quelques sites internet, plus d'informations ne pouvait que m'être profitable.
Quelques jours plus tard, le livre est arrivé dans ma boîte aux lettres. Il est devenu mon compagnon de chevet durant quelques jours. Je n'irais pas jusqu'à dire que ça se lit comme un roman, mais il est intéressant de bout en bout : je ne m'interrompais qu'au moment où Morphée me rendait visite (bonne nouvelle : vous ne passerez pas de nuit blanche).
Le livre est composé en huit chapitres qui se suivent dans un ordre qui me parait logique.
Le premier est consacré à une présentation géographique et historique de la Géorgie. On pourrait dire que sa géographie a dicté son histoire, car le pays ressemble à une large route entre deux mers (noire et caspienne) bordée des deux côtés par les chaînes montagneuses du Caucase. Et pas de la montagnette, hein : le pic le plus élevé dépasse de 900 mètres notre Mont-Blanc national. Elle est donc un lieu de passage des hommes (et hominidés) depuis 1.8 millions d'années. L'homo erectus georgicusserait le premier hominidé à s'être aventuré en dehors de l'Afrique. Il a été retrouvé des traces d'homo sapiens datant de plus de 350.00 ans, mais Néanderthal est aussi passé dans le secteur. Les deux ont cohabité durant environ 200.000 ans jusqu'à ce que Néanderthal disparaisse il y a 30.000 ans. Le réchauffement climatique il y a 12.000 ans a permis le développement de l'agriculture. Les premières traces de viticulture et de vinification apparaissent il y a 8.000 ans. En fait, il est probable que les premiers essais aient été faits dans des grottes où la température était optimale (vestiges trouvés dans la proche Arménie). Creuser un trou dans le sol pour y placer une jarre était une façon de recréer ces conditions idéales. Sur le site de Kramis Didigora 6000 av. JC), une jarre en terre cuite a été retrouvée en morceaux et reconstituée : les grappes de raisins qui figurent dessus ne laissent aucun doute sur son usage .
La Géorgie a été envahie successivement par les Perses, les Grecs (Alexandre le Grand), les Romains (suivi des Byzantins), les Ottomans, les Mongols ... et enfin les Russes à partir du XIXème siècle. En 1918, la Géorgie devient indépendante ... durant trois ans avant de faire partie de l'URSS. Cette dernière sera longtemps dirigée par un Géorgien : un certain Staline. Ce n'est qu'en 1991 que la Géorgie retrouve de nouveau son indépendance, avec comme premier président l'ancien ministre des affaires étrangères de Gorbatchev : Edouard Chervenadze.
L'auteur souligne que la Géorgie est multiple, autant par les climats que par les populations qui y habitent. Je cite : "le Caucasion semble avoir trois "patries" : son pays, sa région et son village d'origine, une triple identité en quelque sorte, par laquelle l'appartenance à l'une renforce les liens avec les deux autres malgré les distinctions culturelles locales".
Le deuxième chapitre concerne la vigne. Au départ, elle existe à l'état sauvage. On sait que homo erectus en consommait il y a 400.000 ans. L'homme s'est rendu compte que s'il taillait la liane, ses fruits devenaient plus gros. C'est le début de la "domestication". Une variété s'y prêtait mieux que d'autres, avec le mérite d'être hermaprodite : vitis vinifera sylvestris. Elle a donné par la suite naissance à toutes les variétés viticoles que nous connaissons aujourd'hui.
Ce qui n'empêche pas que les Géorgiens ont continué à utiliser les vignes sauvages (lambrusques) au cours des siècles. Certaines étaient même entretenues (= semi-sauvages). Elles étaient bien utiles les années où les récoltes étaient mauvaises. En général, ces vignes sauvages/semi-savages s'enroulent autour des arbres, devenant parfois plus grosses qu'eux.
Aujourd'hui, on peut dénombrer en Géorgie 525 variétés de raisins, soit 10 % des espèces cultivées dans le monde.
Le troisième chapitre évoque les vendanges. Pas grand chose à dire sur celles qui sont fait dans les vignes classiques. Par contre, celles dans les arbres ont beaucoup impressionné les visiteurs étrangers au XVIII-XIXème siècle (alors que cela se faisait beaucoup chez eux quelques siècles plus tôt). Les géorgiens utilisent pour vendanger des couteaux courbés proches des serpettes qui étaient encore utilisés chez nous avant l'invention du sécateur et de l'épinette.
Lequatrième chapitre intéressera beaucoup les amateurs de vins puisqu'il traite de la vinification et de l'élevage. Le chai s'appelle le marani. Traditionnellement, le sol est en terre , même s'il existe des versions carrelées. Les jarres (kvevris) sont enterrées : seul le bec dépasse. Les raisins vendangés sont placés dans un fouloir. (qui correspond au Lagar romain ou espagnol) Pour ceux qui réussissaient à en trouver, il était taillé dans le tronc d'un gros arbre (souvent tilleul) qui était évidé, sinon, ils peuvent être fabriqués avec des planches ou des briques. Des branchages et feuillage sont déposés au fond pour servir de filtre. (pour éviter que des peaux ou des rafles passent dans le moût.
Il n'y a pas qu'une seule façon de procéder (comme en France : certains éraflent, d'autres pas. Il peut y avoir plusieurs variétés et couleurs, même si ce n'est pas majoritaire. En tout cas, les raisins, éraflés ou non, sont placés dans le fouloir, puis des hommes montent au-dessus pour les pressurer à pieds nus. Il peut y avoir du rebêchage (à la fourche en bois), comme on dit en France, afin que tout soit bien foulé. Le jus s'écoule par un trou situé en bas du fouloir et est amené jusqu'à la jarre via des rigoles en bois ou en argile.
Les Géorgiens peuvent aussi utiliser des pressoirs à levier qui étaient déjà connus au XIXème siècle. Ils connaissent aussi le soufre, qui peut être brûlé dans la jarre quelques minutes avant qu'elle commence à être remplie.
Le lendemain, le vigneron prélève le marc (chacha) du fouloir et en place dans les jarres la quantité qu'il estime opportun en fonction du vin qu'il veut obtenir. Cela concerne surtout les vins rouges qui nécessitent une macération des peaux pour gagner en couleur. Il existe des vins blancs avec une macération des peaux (amber wines) qui ont inspiré nos vins oranges occidentaux, mais ils sont loin d'être majoritaires. Cela peut paraître troublant à nos yeux d'occidentaux, mais des vignerons peuvent s'échanger les marcs (provenant de variétés différentes) et les verser dans leur cuve. Une fois fait, le vigneron remue trois à quatre fois par jour le marc dans la jarre pleine au 3/4 afin de lancer la fermentation.
Selon les région, les méthodes divergent (et c'est beaucoup, comme disait Desproges). En Kakhétie, le marc reste en contact 5 à 6 mois et finit par se déposer au fond de la jarre. En Imérétie, la proportion de marc est moindre (2-3 %) et ne reste que 2 mois. En Géorgie occidentale, on laisse le marc fermenter 5-6 jours dans le fouloir avant de le verser dans les jarres où il reste jusqu'au printemps.
Afin de laisser s'échapper le gaz carbonique des fermentations (alcooliques puis malolactiques), la jarre est recouverte d'une taupinière en argile traversée par un tuyau. Lorsqu'elles sont achevées, elle est scellée hermétiquement jusqu'à ce le vigneron estime le vin prêt à être bu.
Passons au cinquième chapitre : le vin, un art de vivre. Il évoque d'abord la distillation du tchatcha, l'alcool local. On se sert du moût extrait des marcs non utilisés, auquel on peut ajouter des raisins sauvages et d'autres fruits (figues, prunes, poires...). Puis il parle d'une confiserie locale, le churchkhela (photo ci-dessus). on fait réduire au 2/3 du jus de raisin, puis on ajoute de la farine pour l'épaissir. On y trempe alors des ficelles sur lesquelles on a enfilé des fruits secs (noix, amandes, noisettes) à l'aide d'une aiguille. Il faut en général trois passages dans le moût épaisse pour avoir la bonne forme. Puis on laisse sécher quelques jours... ou plus longtemps. Elle peut servir de barre énergétique à des voyageurs ou des chasseurs qui n'ont rien d'autre sous la main à manger. Et puis, tout de même, on revient sur le sujet du vin : on y parle de sa commercialisation et de son transport. Longtemps, il s'est fait en outres de peau de chèvre imperméabilisées avec du naphte. Ce qui lui donnait un goût particulier qui a souvent dérouté les visiteurs étrangers.
Pascal Reigniez insiste ensuite sur les qualités très différentes de vins qu'il pouvait y avoir, entre les vins pas chers destinés au peuple et les vins produits par et pour les cours princières. Ce qui explique l'hétérégénoité des témoignages. Ceux qui ont bus ce qu'il se faisait de mieux en Géorgie estimaient qu'ils n'avaient rien à envier aux meilleurs vins français.
Mais le plus beau arrive : il est question du rapport des Géorgiens avec la vigne. Selon la légende, Noë aurait planté la première vigne au Mont Ararat, situé dans la proche Arménie. Comme le climat n'y est guère favorable, les Géorgiens aiment à penser qu'il était descendu dans leur beau pays. La vigne fait partie intégrante de leur vie et de leur famille. Je cite " En Géorgie, l'on raconte que la vigne est élevée comme un enfant, c'est à dire avec autant de douceur et de patience que l'on met à élever un enfant ; on dit aussi que la vigne est devenue adulte, qu'ellle a des rejetons ; dans un cas comme dans l'autre, il faut entendre postérité. On dit aussi que la vigne se transmet, et que celui qui l'a planté n'est pas celui qui la verra dépérir (...) La bouteille même est utilisée pour illustrer ce rapport étroit, de manière moins équivoque toutefois, puisque l'on en voit à l'occasion recouverte de costumes traditionnels géorgiens masculins et féminins".
Le symbole du vin se retrouve aussi dans la gigantesque statue qui domine Tbilissi, la capitale du pays : Kartlis deda (= la mère de la Géorgie) tient dans une main une épée, dans l'autre, une coupe de vin (on ne verrait pas Marianne faire cela, surtout aujourd'hui...).
Puis l'auteur parle de ces banquets qui rythment la vie géorgienne où le vin joue un rôle majeur : les supras. Tous les plats (hors desserts) sont déposés sur la grande table et chacun peut prendre ce qu'il veut dans l'ordre qui lui sied. Il y a un chef de table, le Tamada, qui n'est pas forcément le maître de maison. Il gère le déroulement du banquet en initiant les toasts qui émailleront la rencontre. Il choisit le vin qui sera alors servi : il peut être servi dans une grande corne qui fera le tour de la tablée. Lorqu'il se lève, tout le monde se tait. Il prononce son toast. Tout le monde boit. Puis il peut autoriser un autre convive à proposer un autre toast. Mais il devraensuite redonner la parole au Tamada. Si un toast concerne une personne présente, elle devra remercier et répondre. Mais un toast peut être aussi porté à la mémoire de personnes célèbres, à des proches décédés, à une vigne, un cépage... L'une des difficultés consiste à tenir l'alcool dans ce contexte où le vin coule à flot. C'est là encore le Tamada qui veille au grain pour que ça ne dérape pas.
Un bon banquet est aussi rythmé par des chants polyphoniques
qui se rapprochent de ceux des corses et des basques.
Les Géorgiens ont inventé cette étonnante cruche appellée Koulah, dont le col torsadé semble favoriser l'ivresse. Voici le témoignage d'Alexandre Dumas qu'a retrouvé l'auteur : "Dieu a donné aux buveurs géorgiens le vin de Kakhétie, c'est à dire un vin charmant, qui ne grise pas, ou plutôt, entendons-nous bien, qui ne monte pas au cerveau. Ainsi les Géorgiens ont été humiliés de boire leurs dix ou douze bouteilles sans se griser. Ils ont inventé un récipient qui les grise malgré eux, ou plutôt malgré le vin. C'est une espèce d'amphore qu'on appelle Goulah (...) Cette bouteille, à gros ventre et long goulot, emboite le nez en même temps que la bouche, de façon qu'en buvant on ne perd non seulement rien du vin, mais encore rien de sa vapeur, de sorte qu'il y en a pour tout le monde : pour l'estomac, et pour le cerveau".
La corne a longtemps était le contenant le plus utilisé, que ce soit par les riches ou les pauvres. Elles peuvent être sobres ou richement ornées, et de taille très différentes selon l'animal sur lesquelles ont eté prélevées. Même si le verre commence à fait son apparition avec l'arrivée russe au XIXème siècle, la corne reste privilégiée pour le toast final des banquets
On trouvait aussi l'azarpécha qui pemettait de prélever le vin directement dans l'amphore et d'y boire directement à la coupe (un tastevin à manche, en quelque sorte. Celles des plus pauvres étaient en bois, celles des plus en argent finement travaillé.
Comme je le disais un plus haut, le verre est arrivé au début du XIXème siècle. Et donc, les bouteilles aussi. Une verrerie a été établie en 1823 à Tiflis. Les russes essaient aussi d'imposer le tonneau, avec plus de difficulté...
Pascal Reigniez aborde aussi dans le long chapitre l'importante consommation de vin des Géorgiens qui a beaucoup impressionné les visiteurs étrangers (4-5 litres par jours pour certains). Mais souvent c'était des vins légers, parfois coupés d'eau, moins dangereux pour la santé que l'eau seule, porteuse de maladies [4-5 litres, c'était aussi la quantité bue par les mineurs français à la fin du XIXème siècle ].
Le 6ème chapitre s'intitule : la vigne, le vin et les croyances. L'auteur aborde les différentes religions qui se sont succédées jusqu'à arriver au Christianisme qui s'implante très tôt en Géorgie (milieu du IVème siècle). Il nous rapporte cette légende : "un jour, Dieu décida de réunir tous les peuples et procéda à la distribution des territoires qui devaient leur être attribués. Mais les Géorgiens, qui buvaient et dansaient en son honneur, arrivèrent en retard : lorsqu'ils se présentèrent, toutes les terres avaient été distribuées. Ils chantèrent et dansèrent de plus belle pour implorer le pardon du Seigneur, celui-ci leur donna finalement la terre qu'il avait gardée pour lui, décidant de rester dans les Cieux. Ainsi les Géorgiens ont-ils reçu leur territoire".
L'importance du vin dans le Christianisme ne pouvait que convenir aux Géorgiens. Là-bas, une messe est possible en tout lieu, pourvu qu'on ait du vin et un petit pain cuit, y compris dans les maranis. La vigne est très représentée dans églises, que ce soit dans les peintures ou sculptures. Le vin est présent dans les cérémonies de baptême, de mariage et d'enterrement. Il rentre même dans la composition du pain bénit (nazili) confectionné une fois par an le Jeudi saint.
Le septième chapitre, le vin et la vigne dans les arts, évoque les oeuvres littéraire et picturales. Le passage certainement le plus fort est un récit intitulé Kharazula (le pommier) de Nodar Dumbadze. C'est un peu long pour que je le recopie ici. Vous en aurez une version approximative ICI.
Il est bien sûr aussi question de Niko Pirosmani (1862-1918), le plus célèbre peintre de Géorgie. Ses tableaux retranscrivent dans un style naïf des scènes de la vie quotidienne. Dommage pour lui, son succès fut posthume.
L'auteur évoque aussi cette Taverne de Mossé Toïdze (1871-1953)
qui lui fait songer à la caverne de Platon.
Enfin, le dernier chapitre, Enjeux et perspectives, tente de resituer la Géorgie dans un contexte plus mondialisé, avec ses relations avec le monde extérieur. Avec l'empire russe, bien sûr, qui a totalement bouleversé le fonctionnement et l'organisation de la société. Mais au XIXème siècle sont arrivés aussi des colons français et allemands qui se sont lancés dans la viticulture en essayant d'imposer leur méthodes modernes. Avec peu de succès, il faut bien le dire, car elles auraient demandé à être adapté au climat et aux cépages locaux. Celui qui a réussi le mieux est Charles Antoine Mossano, un bordelais invité en 1891 par le prince Michaël Romanov pour mettre en valeur ses propriétés de Kakhétie. Il y a appliqua les méthodes bordelaises, cette fois-ci avec succès. Mais des bouleversement historiques mirent fin à cette aventure. Mais aujourd'hui, une société de vin porte encore son nom, en forme d'hommage posthume.
Pascal Reigniez explique en quoi la jarre est mieux adaptée à la région que le tonneau. Nous sommes dans une région où les tremblements de terre sont fréquents. Il est donc quasi impossible de construire des bâtisses en pierre ou même des caves voûtées pour y placer des tonneaux par dizaines. La température et l'hygrométrie sont plus stables avec les jarres enterrées dans le sol. Et puis, l'apport du tonneau modifait le goût des vins dans un sens qui ne plaisait guère aux Géorgiens.
Enfin est abordé l'entrée dans le "monde moderne" suite à l'indépendance de la Géorgie en 1991. Elle a pu alors s'ouvrir au monde. En 1998, un cahier des charges de culture et de vinification a été mise en place, selon des critères proches de nos pays occidentaux. En 1999, des appellations d'origine ont été créées. Il existe maintenant en Géorgie des chais modernes avec cuves en inox thermorégulées, chais à barriques, etc. Mais les maranis et les kvevris n'ont pas dit leur dernier mot. Des rencontres régulières avec des vignerons européens (Puzelat, par ex) ont permis d'échanger les expériences. La mode des jarres, enterrées ou non, est en train de gagner nos contrées, renforcée par l'envie de produire des vins plus naturels, plus proche de l'origine.
Je recommande vraiment ce livre, car il regorge d'informations sur un pays que l'on ne connaît que très peu. J'apprécie particulièrement l'approche rigoureuse, scientifique même (dans sa version anthropologique) , avec une foultitude de témoignages sur plusieurs siècles. Mais l'auteur s'est aussi rendu sur place : on sent qu'il a partagé de nombreux moments avec les Géorgiens et les a compris de l'intérieur. Il y a ayssi pas mal de photos (85) qui illustre ses récits.
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Au pays de la vigne du du vin, la Géorgie, Pascal Reigniez
Editions les Indes savantes, 370 pages, 33 €
Pour l'instant, peu de vins géorgiens en stock mais un réassort va nous arriver vers le 7 octobre !
L'un de nos fournisseurs nous a proposé cette petite gamme de vins sud-africains. J'avais déjà eu l'occasion de goûter le Pinotage, et il m'avait bien plus (alors que j'en avais bu d'autres pas du tout convaincants). Donc, "Allons-y Alonso" aurait dit Bébel. Voilà trois Petits d'un coup. Et ma foi, tous bien bons. Les blancs permettent de (re)découvrir deux cépages français plantés à l'autre bout du monde. Et le Pinotage qui est né là-bas il y a près d'un siècle.
Ces vins peuvent être intéressants pour des clubs de dégustation dans des thématiques de cépages ou de vins du monde. Ils offrent l'avantage de présenter un fruit pur, sans boisé ni aromatique excessive, bien représentatifs de leur cépage respectif.
Le Chenin est arrivé en Afrique du Sud au XVIIème siècle suite à la révocation de l'Edit du Nantes. Les protestants ligériens ont amené avec eux ce cépage lorsqu'ils ont fuit la France. Il réprésente 30 % du vignoble sud-africain et le double de la surface du Chenin en Loire.
La robe est jaune pâle aux reflets argentés.
Le nez est fin, élégant, sur des notes de fruits blancs (poire, coing), de craie humide et une pointe de fumée.
La bouche est pure, éclatante, avec une acidité ciselée qui étire l'ensemble et une matière ronde, croquante, digeste. Le tout est harmonieux, d'une grande accessibilité.
La finale est finement crayeuse, sur des notes d'agrume mûr et de poire, avec une subtile astringence qui vous nettoie agréablement le palais.
Le Sauvignon est apparu la première fois à Constantion Grooth à la fin du XIXème siècle. Mais il faut attendre 1977 pour voir apparaître la première cuvée 100 % Sauvignon. Depuis, son succès ne se dément pas. Il est maintenant le troisième cépage blanc du pays avec 10 % de la surface totale.
La robe est jaune pâle aux reflets argentés.
Le nez est tonique, sur le bourgeons de cassis, la fleur de sureau et le zeste de pomelo.
La bouche est une bombe de fraîcheur, avec un léger perlant qui accentue encore le phénomène. L'aromatique est un subtile mélange de citronnade et de bourgeons de cassis, sans que ce soit too much ( et c'est un ennemi du bourgeon de cassis qui vous le dit).
La finale est fringante, savoureuse, mêlant habilement amertume et astringence, avec une persistance sur l'écorce de pomelo... et toujours (subtilement) le bourgeon de cassis.
Le Pinotage a été créé en 1925 par le chercheur sud-africain Abraham Perold dans le but d'adapter le Pinot noir aux conditions locales car les tentatives avaient été décevantes. Il l'a croisé avec le cépage Cinsault appelé là-bas Hermitage, d'où son nom... La première cuvée issue entièrement de ce cépage est apparue en 1953. Il a été popularisé par le célèbre domaine Kanonkop. Il est maintenant l'un des cépages les plus populaires du pays.
La robe est pourpre sombre, limite opaque.
Le nez est charmeur, sur la myrtille, la cerise noire, le poivre blanc et un léger menthol.
La bouche est ronde, ample, veloutée, avec une matière charnue, gourmande, au fruit frais et expressif.
La finale légèrement mâchue poursuit dans la gourmandise, avec un fruit pétaradant saupoudré de poudre de cacao. Mmmm...
Je n'avais pas encore parlé sur ce blog de Nadia Lusseau. Comme quoi, on ne pourra pas m'accuser de copinerie. Je l'ai connue bien avant de travailler pour Vins étonnants. C'est une amie de Franck Pascal (Jonc blanc) qui me l'avait présentée.
Son domaine est à l'extrême-nord de l'appellation Côtes de Duras. Pour tout dire, la propriété la plus proche de la sienne, c'est le Champs des Treilles en appellation Sainte-Foy. Les deux sont en bio. Les deux sont vinifiés par une femme. Les deux ont des prix tous doux. Une fois dit cela, les vins ne se ressemblent pas franchement, même si les cépages sont quasi-identiques. Dans cette cuvée Nadia 2016, c'est c'est un assemblage Sauvignon /Sémillon, même si ça ne se devine pas forcément ... du moment que l'on ne regarde pas l'étiquette ;-)
La robe est jaune paille claire.
Le nez surprend par ses notes de réduction grillée qui rappelle un célèbre vigneron de Meursault (mais ça peut rappeler aussi les Graviers de Tissot) : un côté pétard/allumette. En arrière-plan, du fruit blanc bien mûr et de l'agrume (orange !)
La bouche est élancée, tendue par une acidité quasi subliminale, et enrobée par une matière ronde, douce, intense sans être lourde. On retrouve le grillé/minéral du nez, sans le fruité que l'on pourrait attendre de cet assemblage. Ça ne me dérange pas, mais ceux qui recherchent le p'tit vin gourmand risquent d'être désappointés.
La finale est nette, avec un mix de saveurs (très légèrement) citronnées et (nettement plus) grillées, avec une bonne persistance saline/minérale. Un vin étonnant de bout en bout, y compris son prix : 8.30 €.
Belle lurette, c'est la cuvée la plus récente du domaine de Cébène. Elle est née de l'acquisition d'une parcelle de très vielle vignes de Carignan (entre 70 ans et un siècle). Brigitte Chevalier leur a adjoint un peu de Grenache et de Mourvèdre (on ne peut pas faire de monocépage en AOP Faugères). Et le Carignan, lorsqu'il est âgé et ne produit que 15hl/ha, peut donner des vins de haut niveau, tout en n'en faisant pas des tonnes. S'il y a bien un cépage modeste, c'est lui.
La robe est pourpre translucide.
Le nez est fin, profond, sur des notes florales (violette, pivoine), fruitées (framboise), mais aussi d'encens et de poivre blanc.
La bouche est ronde, ample, aérienne, avec une matière soyeuse, une tension juste, et une fraîcheur tellurique (elle semble plus venir de "minéralité" du vin que d'une quelconque acidité). L'ensemble est classieux dans un style épuré/dépouillé [ si on devait le comparer à Darons 2016 dont j'ai vanté il y a peu les mérites, on va dire que ce vin ne joue pas la carte de la séduction : si tu l'aimes comme il est, tant mieux, sinon, pas grave...].
La finale gagne en densité, avec une fine mâche savoureuse où se mêlent la framboise et l'encens, mais aussi de terre fraîchement retournée, et pour finir, des notes minérales plus profondes (tellurique, le retour). C'est beau !
Il est un peu difficile de suivre l'évolution des cuvées au Château de Gaure. Les assemblages, les étiquettes et les appellations varient au fil des ans. Mais si cela tend au final vers une amélioration des vins et une plus grande lisibilité, nous n'allons pas nous en plaindre. Campagne de Gaure a maintenant l'appellation Limoux et ne contient plus que du Chardonnay. Et c'est indiqué en gros sur l'étiquette. Stylistiquement, on est dans l'esprit de ce que savait très bien faire Toques et Clochers il y a quelques années : à savoir du Chardonnay bien mûr, mais parfaitement équilibré, avec ce qu'il faut de tension et fraîcheur. C'est la force du terroir d'altitude de Limoux de réussir cette prouesse chaque année ... pour un prix nettement plus raisonnable que leurs cousins bourguignons (10.90 € pour celui-ci).
La robe est jaune paille, brillante.
Le nez est expressif, sur la pomme chaude généreusement beurrée, la noisette grillée et le pain toasté.
La bouche est ronde, charnue, avec une matière qui allie moelleux et croquant, et le plus important : de la fraîcheur ! L'ensemble est très bien équilibré, avec un très léger perlant qui apporte un supplément de peps. Vraiment, on se régale sans s'alourdir.
La finale est finement mâchue, avec une subtile amertume et un bon goût de pomme beurrée/noisetée. Le tout se prolonge sur des notes d'écorces d'orange qui lui siéent bien.
Pour 10.90 € , c'est des plus recommandables, particulièrement pour les clubs de dégustation qui chercheraient un modèle de Chardonnay à un prix accessible. Le Chardo, c'est ça !
Il y a quelques années, les Darons, ce n'était vraiment pas mon truc : ça faisait "vin pour Américains" (ce qui était plus ou moins le cas) avec tous les excès gustatifs qui vont avec. Le basculement a eu lieu avec le 2014, où il y avait du fruit, de la fraîcheur et de la finesse. Ce millésime atypique y était certainement pour quelque chose, mais pas que : on sentait un changement stylistique. Il s'est confirmé sur 2015, même si l'on sentait que l'année avait été plus solaire. Et donc, moins ma tasse de thé, même si, objectivement, je ne pouvais que reconnaître un excellent rapport qualité/prix.
Il y a quelques semaines, nous avons reçu en avant-première les Darons 2016. J'étais évidemment curieux de le goûter, mais sans a priori positif ou négatif. Je juge sur pièce. Et là, c'est la baffe dès que je commence à le sentir. Et re-baffe lorsque je le goûte (et ce, sans préparation préalable). Je suis rien moins qu'éberlué par le vin que j'ai dans le verre : il a toutes les qualités que je cherche dans une bouteille.
La robe est pourpre sombre translucide, bien brillante.
Le nez est juste envoûtant : crème de fruits noirs (myrtille, mûre, cerise), encens, épices de Noël...
La bouche est sphérique, de grande ampleur, avec une matière fine, soyeuse, caressante, qui prend progressivement la densité en milieu de bouche, passant alors au velouté. Il y a un allant, une énergie, qui font plaisir à boire, une grande fraîcheur, et surtout un p... de fruit intense, vibrant. Faut être insensible – ou Naturiste intégriste – pour ne pas tomber immédiatement amoureux de ce vin.
La finale a une mâche gourmande, sans la moindre dureté, avec toujours un sacré fruit et un retour des épices. Votre palais tout entier reste longuement sollicité, frétillant de bonheur :-)
J'ai échangé avec Jeff après cette dégustation : il m'a dit que c'était la première fois qu'il vinifiait cette cuvée dans son chai. Il a pu assurer un suivi plus précis, ce qui explique certainement le saut qualitatif. La bonne nouvelle, c'est que le prix n'augmente pas : toujours à 7.90 € la bouteille (6.90 € par 6 et 6.40 € par 12).
J'aurais pu utiliser pour ce le titre déjà utilisé il y a 15 jours pour Brise d'Aunis : "sous le gaz, la glisse". Peut-être en le modifiant un peu , genre "sous le gaz, le plaisir". Mais bon, j'essaie de ne pas trop me répéter, d'où ce titre Bondo-germanique. N'empêche qu'une fois de plus, je suis confronté à du gaz carbonique à l'ouverture de cette bouteille de Pinot noir 2016 de Schmitt. Forcément, il faut que j'en parle puisque les clients qui vont acheter cette bouteille vont y être aussi confrontés. Il ne faudrait pas qu'ils croient que la bouteille a un souci. C'est NOR-MAL (enfin, je ne trouve pas vraiment, mais c'est que vous diront nombre de vignerons et supporters de vins nature. Alors soit, admettons).
En tout cas, normal ou pas, il y a un p... de joli vin planqué derrière le gaz, et ce serait vraiment dommage de passer à côté. Le plus rapide, c'est un carafage énergique. Non seulement, vous versez le vin le plus brutalement possible dans la carafe (sans en verser à côté). Mais après, vous agitez la carafe 3-4 fois une minute avec 5 mn de repos entre agitation. Et ça devrait le faire. Sinon, recommencez ;-)
La robe est d'un très beau grenat translucide.
Le nez, après aération/agitation, est fin et frais, sur la framboise, la cerise et une touche de noyau.
La bouche est pure, élancée, déroulant élégamment une matière fruitée, soyeuse, explosive de fraîcheur (autant due à la fine acidité qu'à une aromatique menthol/chlorophylle).
La finale a une p.. de niaque avec une amertume/astringence qui ferait presque penser à un chenin de Touraine, si ce n'est qu'il n'y a pas de coing ou d'écorce d'orange : là, on est dans le fruit rouge/noir, encore le noyau, et une note (très) persistante de rafle – un trait vert comme on dit dans les endroits où l'on cause bien – qui refuse de vous quitter.
En mangeant avec, le fruit gagne en intensité, avec plus de notes florales. La finale s'adoucit, gagne en gourmandise. Un vrai régal pour pas trop cher (10.35 €).
Il y a 6 ans, alors que je ne travaillais pas encore à Vins étonnants, Charles Perez du Mas Becha m'avait envoyé une partie de sa grande gamme afin que je lui dise (et surtout écrive) ce que j'en pense. Il en était ressorti un article sur mon blog perso encore lisible ICI. En juin dernier, il a récidivé, avec en bonus des cuvées expérimentales. Comme je les ai reçues sur mon lieu de travail, j'ai fait goûter les différents vins à Eric R, mais aussi à certains clients. Le chef les ayant appréciés, il a décidé d'en référencer une bonne partie. Ils sont arrivés il y a quelques jours. Je ne les ai pas regoûtés, mais voici le compte-rendu des vins dégustés cet été.
Précisons que le Mas Becha est dans le Roussillon, qu'il cultive 25 ha de vignes, et qu'il s'est converti au bio en 2008.
Blanc Excellence 2016 : la robe est or pâle. Le nez est fin, confit, légèrement boisé, avec une petite touche fumée. La bouche est fraîche, tendue, avec une matière ronde, pulpeuse, gourmande, très marquée par l'agrume. Il en ressort un bel équilibre général. La finale persistante a une mâche finement crayeuse, sur des notes de pomelos et d'épices grillés.
Blanc des Clottes 2016 : la robe est un peu plus dorée. Le nez est plus fumé, avec un grillé assez marqué qui évoquent certains Bourgognes... La bouche est élancée, avec plus de densité et de profondeur que le vin précédent. Indéniablement classe. La finale est intense, fumée, minérale. Déjà très beau, mais devrait être au top d'ici 3-5 ans.
Rosé Serrat d'en Caratx 2016 : la robe est rose framboise clair. Le nez évoque les petits fruits rouges bien mûrs avec en arrière-plan les mêmes notes grillées que Clottes. La bouche est du même tonneau, avec une tension et une race rares pour un rosé. On croirait croire un grand blanc, si ce n'est quelques notes framboisées qui se rappellent à vous. L'ensemble est aérien et élégant. La finale mâchue est par contre plus proche du Blanc Excellence, avec un surplus de longueur, de fruits et d'épices.
Rosé "classique" 2016 :la robe est sur un framboise plus intense. Le nez est expressif, sur la framboise et la pastèque. La bouche est ronde, fraîche, croquante, avec un fruit d'une grande intensité et une gourmandise des plus irrésistibles. La finale est fraîche, savoureuse, avec toujours un fruit toujours très présent. Miam ++
Rouge classique 2015 :la robe est pourpre sombre, opaque. Le nez est très mûr, sur les fruits noirs confites, la réglisse, les épices, avec une petite touche d'eucalyptus qui apporte une fraîcheur bienfaisante. La bouche est ronde, riche, veloutée, avec une matière d'une densité impressionnante pour une entrée de gamme, mais qui ne tombe pas dans la lourdeur. Il y a même un certain allant. La finale dévoile une mâche bien mûre, soulignée par les épices.
Rouge Excellence 2015 :la robe ne diffère guère. Le nez gagne encore en finesse et en profondeur, avec une pointe de volatile (positive) qui s'invite. La bouche est encore plus élancée, avec une tension rappelant Serrat d'en Caratx. La matière, même si elle est très digeste, est certainement plus dense qu'il n'y paraît. L'ensemble est d'une fraîcheur et d'un équilibre remarquables. La finale envoie du lourd, tout en maintenant ce bel équilibre. TOP.
MVD MMXV :la robe fait penser à de l'encre. Le nez évoque la liqueur de fruits noirs, le tabac et les épices. La bouche est d'une grande ampleur, déployant une matière douce, harmonieuse et fraîche (menthol à donf), d'une densité impressionnante ... mais pas lourde du tout. Une sorte de monstre tranquille. La finale est relativement puissante, mais des plus savoureuses, avec toujours les fruits noirs et le menthol, et un alcool en retrait.
Il est un paradoxe à Gaillac : certains cépages locaux comme le Prunelart ou le Verdanel n'ont pas le droit à l'appellation s'ils sont utilisés seuls, alors qu'une cuvée 100 % Syrah – originaire du Dauphiné – peut prétendre à l'AOC. Ceci dit, lorsqu'on goûte cette Syrah 2016 de Plageoles, on se dit que ce cépage s'est sacrément aclimaté (ou que le terroir le transcende) car ça ne ressemble pas du tout à la Syrah rhodanienne : au nez comme en bouche, on est dans le Sud-Ouest. Elle a pris l'assent, con...
La robe est pourpre sombre, à la limite du translucide.
Le nez est très expressif, sur le cassis frais, la prunelle, le poivre et des notes sanguines/ferreuses rappelant le Braucol.
La bouche est ronde, veloutée, bien fraîche, avec une matière dense et charnue, juteuse. Il y a de l'allant, du fruit, un bel équilibre général. Cela se boit vraiment bien même si on sent qu'il y a des chevaux sous le capot.
Les tannins qui donnaient du corps à la bouche tout en étant bien polis, ressortent plus en finale. Mais ils sont bien mûrs, marqués par les fruits noirs sauvages et les notes sanguines/poivrées. On a une belle mâche typique du Sud-Ouest qui vous fait vite oublier que le cépage est un estranger.
Il y a une semaine, je vous parlais des nouveaux rouges de Tirecul la Gravière. Aujourd'hui, ce sont les blancs secs qui se retrouvent sur le banc d'essai. Ils sont du même millésime (2016) et ont une exposition relativement proches (nord/nord est). Mais ils ont pas mal de différences :
- Andréa provient des plus vieilles vignes de Muscadelle et de Sémillon du domaine situées dans une parcelle au calcaire très affleurant. La vendange semble avoir été un peu plus tardive qu'Ulma. La vinification et l'élevage ont été faits en barrique.
- Ulma provient de vignes plus jeunes plantées sur des sols plus argileux (toujours sur un socle calcaire). En plus du Sémillon et de la Muscadelle, elle intègre aussi du Chenin, récemment planté, et maintenant autorisé en appellation Bergerac. La vinification et l'élevage ont été faits en cuve.
Le nez est fin et frais, sur l'ananas, la poire mûre et le coing, avec une petite touche de verveine.
La bouche est élancée, avec une tension élégante et une matière ronde, fraîche, presque cristalline, plus minérale que fruitée (ce côté eau de torrent "caillouteuse" que j'aime beaucoup).
La finale finement crayeuse, dominée par les fruits blancs (pomme/poire/coing) et l'écorce d'agrume, se prolonge sur des notes salines du plus bel effet.
Le nez est beaucoup plus riche, sur des notes de pommes/poires rôties au beurre et un (bel) élevage en barrique encore présent : pain grillé, beurre noisette...
La bouche est plus en largeur qu'en longueur [ 'tain, ça vous marque longtemps, Mondovino ] avec une matière très ronde, déposant sur votre palais un voile de douceur. C'est étonnamment aérien, subtil, ne ressemblant à aucun autre vin connu [ ça peut expliquer le choix de le classer en IGP Périgord alors que Ulma est en Bergerac).
La finale est intense et concentrée, encore dominée par les notes d'élevage (beurré/grillé/fumé), avec là aussi un salin très présent qui persiste longuement.
Conclusion : eh bien, ils ne se ressemblent PAS DU TOUT ! Si on les buvait à l'aveugle, on pourrait croire qu'ils viennent d'une région différente (et certainement pas du même producteur). Pour l'heure, Ulma me semble nettement plus prête à boire, même si je ne doute pas qu'elle a en encore une belle marge de progression. Andréa demandera 3-5 ans d'attente pour gagner en complexité. Dans les deux cas, le rapport qualité/prix me semble vraiment très bon. Faites-en cadeau à votre cave : elle vous remerciera !
La journée démarrait plutôt normalement, et puis j'ai rencontré LouLou. Loulou, c'est le prénom évocateur par excellence. Ça vous fait penser à Pialat, avec un Depardieu et une Huppert tous jeunots. Ça fait aussi penser à une pub pour un parfum de Cacharel. Bon, là, ce n'est ni un film, ni un parfum – quoi que... – mais la nouvelle cuvée de la famille Meyer.(on me dit dans l'oreillette que c'est un hommage à la p'tite dernière, Louise). Comme il est écrit en contre-étiquette : il est "issu d'un millésime particulier riche de hasards heureux". Comprenne qui pourra. Ce qui est sûr, c'est que LouLou est en effet très particulier (ou particulière ?) : je crois avoir bu/vu pas mal de choses dans ma vie d'amateur de vins, mais c'est la première fois que je bois/vois un assemblage PG + PN. Comprenez Pinot Gris + Pinot Noir. Peut-être suis-je un peu tordu, mais je l'aurais plutôt imaginé en "blanc de noirs/gris". Ici, c'est du rouge. Enfin, presque.
En effet, la robe est pour le moins troublante (c'est le cas de le dire) : elle fait "jus de fraise cuite", hésitant entre rouge, orange/tuilé et rosé ... et elle est trouble, donc. Cela ressemble aussi à un : Bourgogne rouge en fin de vie que vous auriez remué juste avant d'ouvrir... Pour être honnête, elle est plutôt inquiétante pour un buveur de vin "classique", mais probablement excitante pour un pilier de bar à vins nature ;-)
Le nez rassure en nous ramenant sur des odeurs connues ... et agréables : cerise rouge, rose, écorce d'orange (voir fleur d'oranger), épices douces, terre humide pétrichor... Mousseron, ajoute le chef.
La bouche est ronde, ample, caressante, avec une matière d'abord vaporeuse puis moelleuse/pulpeuse mais toujours dans un registre très léger, effleurant. L'ensemble est tendu par un fil invisible, sans que l'acidité ne saille.
Celle-ci apporte son grain de sel dans une finale tonique, gourmande, très marquée par la griotte, et qui se conclut sur une mâche finement crayeuse évoquant la rose et le sel*.
Malgré donc un visuel plutôt négatif, le nez et la bouche sont des plus positifs. Ce vin a illuminé mon après-midi. Et ce n'était pas du luxe, vu qu'on était dans la grisaille humide... Eric R. a trouvé qu'il était marqué nature. Moi, pas trop, et pourtant, je suis sensible à cela. Alors nature, peut-être, mais le nature que j'aime : libre et pur, sans entraves.
Je l'ai regoûté ce matin, au moment où j'écris ces lignes : la toute fin de la finale fait un peu plus nature dans un sensque j'aime moins. Mais tout le reste n'a pas bougé d'un iota. Il me semble donc tout de même préférable de l'ouvrir ... et de le boire dans les heures qui suivent l'ouverture. Ça ne devrait pas être trop difficile.
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* cette signature "rose et sel" étant celle de la Romanée-Conti, vous avez l'occasion de faire rêver vos convives en servant ce vin à l'aveugle. Peut-être s'imagineront-ils boire durant quelques minutes le mythe absolu ?...
(se lit en écoutant Louis Chedid). Je vous la refais courte : l'appellation Baux de Provence est réservé aux rouges et aux rosés. Les blancs, ben, tant pis pour eux... Jusqu'à l'année dernière, ils étaient relégués en Coteaux d'Aix. Mais cette année, il y a du nouveau : ce vin est en IGP Alpilles, ce qui est ma foi plutôt joli, et nettement plus évocateur.
Pour rappel, cette cuvée est un assemblage de Grenache blanc, Rolle et Sauvignon, vinifié et élevé en cuve pour ne surtout parasiter le fruit et la fraîcheur d'origine.
La robe est or pâle, aux reflets argentés.
Le nez est tentateur, sur la bergamote de Nancy, la pomme mûre, les fleurs blanches, avec un arrière-fond d'amande.
La bouche est ronde, croquante, fraîche, d'une gourmandise absolument irrésistible. L'équilibre est bluffant pour un vin du sud et la digestibilité totale (alors qu'il "pèse" tout de même 13.5 %). Seul problème : on pourrait s'enquiller la bouteille sans s'en apercevoir...
La finale est fraîche, nette, tonique, avec une fine mâche crayeuse qui s'invite assez longuement : Cette – agréable et stimulante – astringence ne doit pas être étrangère à ce sentiment global d'équilibre. À moins de 10 €, ce vin blanc fait partie sans conteste des grands incontournables de notre site.
Maxime, le neveu d'Odile et Jacky, a beaucoup appris ces 4 dernières années à la cave Verdier-Logel. Symboliquement, il était temps de mettre fin à sa cuvée Apprendre à Lyres. Néanmoins, il faut bien en faire quelque chose, de ces vignes. Ça aurait pu s'appeler "totalement des lyres". Ce sera en fait Feux de Forez. L'occasion de rappeler que ça se prononce Foret et non Forezzz. Comme sa prédécesseuse, cette cuvée a été élevée en fûts de chêne. Mais cet apport est vraiment discret : on le sent juste en final, et il est des plus positifs. Bref, il y a tout le feu de la jeunesse de Maxime dans ce vin, le feu du terroir volcanique, le feu qui s'allume dans les yeux des personnes qui le boivent. On comprend pourquoi feux est au pluriel ;-)
La robe est pourpre sombre translucide..
Le nez est fin, frais, sur des notes de cerise noire, de quetsche, d'épices de Noël (ça fait un peu vin chaud alsacien, mais froid). Une petite touche florale, aussi, entre violette et pivoine.
La bouche est ronde, ample, fraîche, avec une matière dense et veloutée, charnue, au fruit gourmand, charmeur. Mais il ne faudrait pas limiter le vin à cette gourmandise : on sent qu'il y a du fond qui ne demandera qu'à s'exprimer avec le temps.
La finale savoureuse gagne encore en densité sans néanmoins se durcir. C'est intense, avec un fruit vibrant et le chêne qui pointe joliment son nez sur des notes épicées/grillées. C'est vraiment très très bon. Et le prix est des plus raisonnables : 9.20 €.
(ça s'écoute en écoutant du Maxime le Forestier). Il ne faut pas chercher dans cette cuvée Gaïa signée Barouillet un succédané à un blanc bourguignon, si ce n'est peut-être certaines cuvées levroutées mâconnaises. Si filiation il devait y avoir, on pourrait voir plutôt dans ce vin un Morillon du Nord (relatif, certes). En effet, Gaïa ressemble un peu au Chardonnay surmaturé de Jeff Carrel tout en tombant moins dans l'extrême ( équilibre plus frais, pas de sucres résiduels). Si vous lui trouvez des bons compagnons de table – foie gras légèrement fumé, jambon cru élevé longuement, volaille crémée aux champignons, pâtes dures affinées... – il devrait réjouir tous vos convives :-)
La robe est jaune d'or assez intense.
Le nez est intense, sur la poire au sirop, la pomme chaude, le beurre noisette et le pain d'épices.
La bouche est ronde, douce, enveloppante, avec une chair dense et moelleuse, et une fraîcheur provenant plus de la sensation minérale/caillouteuse que de l'acidité perçue. C'est néanmoins bien équilibré, sur une aromatique généreuse dominée par la pomme rôtie au beurre.
La finale finement crayeuse – signature du terroir argilo-calcaire – se mâche avec plaisir, avec toujours ce bon goût de pomme beurrée/épicée qui persiste assez longuement.
En 2002, Claudie et Bruno Bilancini avaient acheté un petit domaine à Pomerol (0.6 ha). Bruno avait pu alors sortir un peu de l'univers du liquoreux pour aborder la vinification et l'élevage des vins rouges. Ce qu'il avait fait à l'époque peut paraître presque banal aujourd'hui, mais c'était alors révolutionnaire : aucune extraction, que ce soit par remontage ou pigeage (juste un léger "mouillage du chapeau" comme on dit). Par contre, une longue durée de macération – une quarantaine de jours – jusqu'à ce que les raisins aient libéré tout ce qu'ils avaient à donner. Aussi n'était-il même pas la peine de pressurer en toute fin : Bruno ne gardait que le vin de goutte. Il en résultait un vin très doux en bouche, complexe aromatiquement, qui avait du fond sans en avoir l'air. J'ai eu la chance d'en boire un qui avait plus de 10 ans : il était loin d'être en fin de course (pour quelques infos, vous pouvez aller ICI).
L'aventure n'a pas duré, car la période de vinification des rouges correspondait à celle des vendanges à Tirecul la Gravière où Bruno surveille le pressoir comme le lait sur le feu (une partie de la qualité des liquoreux du domaine vient de la maîtrise du pressurage). Et l'air de rien, il y a deux heures de trajet aller-retour entre Monbazillac et Pomerol. Le mini-domaine a donc été revendu à un gros qui l'a intégré à son parcellaire.
Mais l'envie de produire des vins rouges était toujours bien là. Aussi a-t-il saisi l'opportunité lorsqu'on lui a proposé l'année dernière 6 hectares de vignes à l'extrême sud de l'appellation. Un terroir quasiment lunaire. Non par ce qu'il aurait été désherbé sauvagement, mais parce que le calcaire y affleure en de nombreux endroits et qu'il y a de la caillasse blanche un peu partout.
Parce que sinon, à l'instar de Tirecul la Gravière, ce nouveau domaine est désormais conduit en bio certifié, et aura le label une fois la conversion terminée.
Bruno a identifié des lots très différent les uns des autres en terme de combinaison cépage/âge de la vigne/sol. Il a produit dès la première quatre cuvées différentes, voire cinq – la décision sera prise à la fin de l'élevage. Pour l'instant, il n'y en a que deux qui sont mises en bouteille. Les autres reposent encore dans le chai à barrique de Tirecul.
J'avais dégusté en avant-première Boucicaut et Boucicaut nature à la fin du printemps. À l'époque, le Nature avait mieux supporté sa mise en bouteille. Il était rond, gourmand, très expressif. Alors que le "normal" était plus serré. La dégustation d'hier montre que les choses se sont inversées : Le "normal" s'est ouvert alors que le "nature" s'est refermé. Nous vous conseillons d'attendre qu'il passe l'hiver pour le déguster. Par contre, il vaut mieux l'acheter maintenant car nous n'en aurons plus d'autre : il n'y en a plus une bouteille de disponible au domaine.
Précisons tout de même que le "normal" pourrait quasiment être considéré comme un vin nature : il ne contient que 25 mg/l de SO2 total.
La robe est pourpre sombre opaque, faisant songer à de l'encre violette.
Le nez est très expressif et gourmand, sur la crème de fruits noirs et les épices douces. Et puis une touche de benjoin.
La bouche est ronde, veloutée, avec une belle tension, un fruit mûr et généreux, mais les tanins prennent assez vite le dessus.
La finale est ferme, serrée, mais j'oserais dire : pas plus que de nombreux vins rouges solides du Sud-Ouest (Madiran, certains Cahors, Buzet...). Mais néanmoins, je trouve dommage de le boire dans cette mauvaise phase. Patience...
La robe est pourpre sombre violacé, mais plus translucide.
Le nez est plus en retrait, même si la gamme aromatique est proche (fruits noirs bien mûrs/épices). Il y a aussi une odeur de jus de raisin, ce qui n'est pas si courant dans un vin.
La bouche est plus longiligne, avec une matière plus souple, entre soie et velours, du fruit et de la fraîcheur à revendre. C'est très bien équilibré, vivant ... presque nature, quoi (dans le bon sens du terme).
La finale est plus "Bergerac" avec une mâche solide. Ceci dit, on est dans le bien mûr. Avec un plat de cuisine du Sud-Ouest, les tanins vont se fondre instantanément, apportant juste une belle assise au vin.