Lorsque j'étais passé en octobre dernier dans le Languedoc voir Jeff Carrel, j'avais également fait un détour chez Daniel Le Conte de Floris pour découvrir l'homme et ses vins. J'ai été tellement conquis que j'avais proposé dès ce moment-là au vigneron de revenir passer le voir en janvier avant Millésime bio. On prendrait alors le temps de visiter les vignes.
Cette parcelle de carignan située à Caux est l'une des plus proches du chai installé en plein centre de Pézenas. C'est le moment de signaler que le domaine a été créé de toute pièce en 2000. Daniel était alors parti à la recherche de vignes de caractère pouvant exprimer leur terroir, poussant son exploration jusqu'aux abords de Faugères. Au total 7 hectares cultivé en bio et biodynamie.
Ces vignes ont été plantées juste après le gel de 1956 qui avait détruit une bonne partie du vignoble languedocien. Elles ont donc une soixantaine d'années. Il y avait une autre parcelle quasiment identique juste à côté, mais Daniel a dû l'arracher, car les rendements étaient vraiment trop faibles. Il a replanté à la place des cépages blancs languedociens traditionnels (bourboulenc, clairette)
Mais de ce fait, la cuvée basaltique issue de ces deux parcelles a disparu, faute de quantité suffisante : ce carignan est maintenant assemblé dans la cuvée Sy rah noirs.
Ce muret a été bâti avec des roches de basalte trouvées dans les vignes.
Nous sommes toujours sur Caux avec les roussannes et marsannes qui contribueront à Pleine lune et Lune rousse.
Nous nous approchons de Faugères sur la commune de Gabian où nous trouvons des schistes carbonifères. Le pétrole y a été exploité dès le XVIIème siècle comme médicament. Puis à la fin du XIXème comme carburant (premier puit de pétrole en France !).
Ici, c'est une parcelle de Syrah, comme souvent palissée. Mais Daniel les taille comme des gobelets, plus "aplatis" que la normale. Lorsqu'on regarde ces pieds vigoureux, on pourrait se dire qu'il donne des vins puissants. En fait cette Syrah carbonifère est d'une finesse rarissime en Languedoc.
Après deux minutes en voiture, on arrive à la parcelle de Carignan blanc donnant naissance à Lune blanche, cuvée qui a permis au domaine de se tailler une belle renommée.
Chaque cep semble doté de sa propre personnalité.
Ce n'est pas lui qui le démentira...
Pour finir la balade nous voilà dans le secteur du Villafranchien situé sur Pézenas. Ici ce sont des vignes de Grenache d'une quarantaine d'années. On retrouve la taille en gobelet palissé.
Ce sont des sols de galets roulés qui rappellent beaucoup les côtes du Rhône. Ce qui n'est pas surprenant, étant donné qu'ils proviennent également du massif alpin (oui, ça fait de la route)
Le chai ne fait pas dans le spectaculaire : ce qui est important, c'est l'ergonomie du lieu et la qualité des barriques achetées d'occasion chez les meilleurs producteurs de Bourgogne, région fétiche du vigneron. C'est là-bas qu'il s'est formé avant de se lancer dans la profession. Et ses vins, en rouge comme en blanc, restent une forme d'idéal à atteindre.
Si les rouges passent en cuve avant un éventuel élevage en barrique, les blancs ne connaissent que de la pièce bourguignonne jusqu'à l'assemblage final des trois cuvées. La parcelle de carignan blanc est vendangée en trois temps, ce qui permet d'obtenir trois profils de vins complémentaires. Selon la maturité des autres cépages blancs, Daniel ajustera l'assemblage en privilégiant plus un lot qu'un autre dans Pleine lune et Lune rousse.
J'ai pu déguster ces différents lots de carignan blanc, et il faut avouer que c'est assez bluffant : on a du mal à croire qu'ils viennent du même cépage de la même parcelle. Le ramassage le plus précoce donne un vin vif, éclatant, très tendu, mais manquant de complexité. A l'inverse, le plus tardif est beaucoup plus opulent et expressif, tout en ne manquant pas de fraîcheur mais la tension n'est pas son fort. Dès qu'ils sont réunis, on voit qu'ils se complètent parfaitement.
Pour la vinification des rouges, Daniel applique sur l'essentiel des cuvées une approche bourguignonne traditionnelle avec pigeage et vendange entière (mais pas de carbo, hein !). Au départ, cela ne concernait que Villafranchien : le résultat a été tellement convaincant que la méthode a été étendue à Carbonifère et Homo habilis.
Pleine lune 2020 (Marsanne sur basaltes 40% , carignan blanc 40 %, clairette et bouboulenc): la robe est or clair. Le nez est mûr, complexe, sur des notes confites et fumées. La bouche allie ampleur et tension, déployant une matière mûre presque moelleuse contrebalancée par une grande fraîcheur aromatique. La superbe finale est intense, complexe, sur l'agrume confit, la résine, les épices, la gelée de coing et des notes grillées.
Lune blanche 2020 (carignan blanc complété par un peu de gris) : la robe est proche du vin précédent. Le nez évoque la noble réduction bourguignonne sur le pétard et le sésame grillé, complété par le citron confit. La bouche est très ample, enrobante, harmonieuse, offrant une matière dense, profonde, émouvante, étirée par des nobles amers. La finale traçante est simplement magique, mêlant le sésame grillé au citron confit.
Pleine lune 2019 : le nez est plus discret sur les fruits confits et une légère fumée. La bouche est ronde, ample, élancée, plus aérienne que ses prédécesseurs, avec une matière d'une grande douceur tactile. La finale gagne en puissance, en mâche et en complexité, rendant le vin irrésistible.
Lune blanche 2013 : la robe est d'un or intense virant vers l'orangé. Le nez est foisonnant, profond, très complexe, sur les hydrocarbures, le citron confit, la noix grillée, les épices... La bouche est ample, aérienne, avec une finesse de texture contrastant avec la puissance aromatique, et une fine acidité traçante qui étire le tout. La finale est baroque, sur les fruits secs grillés, les agrumes confits et les épices.
Les millésimes dont je parle ici ne correspondent pas tous aux vins que nous vendons actuellement. Cela dit, l'esprit reste le même, et ils sont plus prêts à boire.
Sy Rah noirs 2018 (70% syrah, le reste en grenache, carignan et mourvèdre) : la robe est grenat sombre bien translucide. Le nez est dominé par les épices, complété par les fruits rouges. La bouche est ronde, ample, soyeuse, avec une matière d'une grande finesse et une sacrée fraîcheur que la finale non seulement préserve, mais accentue.
Villafranchien 2020 (80 % grenache, 10% carignan, 10% de cinsault - Elevage barrique et cuve) : la robe est légèrement plus claire que le précédent. Le nez est très fin, délicat, sur des notes florales, la cerise et l'écorce d'orange. La bouche est pure, élancée, déployant une matière élégante et aérienne, au toucher caressant et à la fraîcheur bluffante. La finale nette et précise, sur l'écorce d'agrume, la fraise confite et le noyau de cerise rend le vin encore plus ensorcelant.
Villafranchien 2021 Ad Libitum (80 % grenache, 20% de cinsault - Elevage en cuve) : le nez est peu moins expressif que le 2020, mais encore plus subtil, sur la rose, la violette, la cerise et les épices douces. La bouche gagne en pureté et en droiture, avec une acidité plus traçante. Et cela s'accentue encore plus dans une finale réjouissante dominée par l'agrume et complétée par des notes florales.
Carbonifère 2019 (80 % syrah, 25% de grenache et carignan) : le nez est une fois de plus délicat, floral, sur la violette, la fumée, le tabac et les agrumes. La bouche est aussi ample qu'élancée, alliant une grande tension à une matière fine, élégante, profonde, d'un équilibre superlatif. Et puis toujours une grande fraîcheur, signature du domaine. Comme pour les autres cuvées, la finale poursuit dans la finesse, sur la violette et le tabac. Superbe.
Homo Habilis 2017 (60 % mourvèdre, 20 % grenache et 20 % syrah) : le nez est rafraîchissant sur le menthol et les agrumes, avant que n'arrivent la violette et la rose. La bouche est ample, racée, énergique, avec une matière juteuse et sanguine d'une grande finesse. La finale intense est de haut vol, mariant le menthol et l'eucalyptus aux agrumes et aux notes florales.
PS : pour retrouver mes"billets quotidiens", il faudra patienter encore un mois. Le bras va mieux, mais il doit se rééduquer.
Salut Eric, ca fait plaisir de te savoir sur le terroir Pézenas ! Très bel article !
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