jeudi 31 mars 2016

SO2 : le fruit libéré


Maintenant qu'il y a prescription, je peux le confesser : je n'ai pas été vraiment fan des millésimes précédents de SO2. Un peu trop "nature" pour mon palais de formation classique. Cela explique pourquoi je n'en ai jamais parlé sur le blog jusqu'à présent. Et puis, j'ai découvert le 2015 en février dernier à la Dive. Je n''irais pas jusqu'à dire que ce fut le coup de foudre, mais j'ai sacrément apprécié, ce qui est un grand pas en avant par rapport au passé. Un changement de paradigme, dirait Edgar Morin.

Aussi, lorsque nous les avons reçus il y a une quinzaine de jours, je n'ai pas tardé à en ouvrir une bouteille, histoire de confirmer mes bonnes impressions. Yessss ! Cette fois, je kiffe SO2 !

La robe est pourpre violacée translucide.

Le nez est fruité (cassis, framboise) et épicé (poivre) avec une légère touche herbacée apportant de la fraîcheur.

La bouche est fraîche, tonique, avec une matière pleine de fruit, juteuse, et une saveur de rafle apportant un côté végétal/poivré. Il y a aussi un  peu de gaz carbonique qui disparaît facilement à l'agitation.

La finale est corsée, épicée, sans toutefois se durcir. Il est conseillé de grignoter avec (andouille de Vire ? Chorizo ?) car seul, c'est limite trop intense.

PS : deux jours plus tard à température ambiante (20 °C), il a gardé tout son fruit tout en perdant le gaz de départ. Non seulement il ne présente aucune trace d'oxydation, mais il est encore plus gourmand. Comme quoi, un vin sans soufre, lorsqu'il est bien conçu au départ, est au moins aussi résistant – voire plus – qu'un vin "conventionnel".


mercredi 30 mars 2016

Et paf... trois nouveaux blancs de Carrel


C'est fou, ça! J'ai dégusté à Vinisud les dernières nouveautés de Jeff Carrel (et il y en avait pas mal). Eh bien, un mois plus tard, je ne suis déjà plus à la  page... Quatre nouvelles cuvées sont arrivées la semaine dernière : trois blancs et un rouge. Le rouge, je vous en parlerai bientôt car il mérite un billet  lui tout seul. Intéressons-nous aujourd'hui aux trois blancs.




Ce Maccabeu provient du Roussillon, mais pas du même endroit que le Carignan qui lui ressemble beaucoup. Ce dernier provenait de Caramany. Celui-là vient de Cases de Pene (vallée de l'Agly). Ceci dit, il y a un air de famille dans leur côté facile à boire. Du même cépage que le TP3 blanc, il possède cette même fraîcheur sans agressivité. Un vin sympa pour l'apéro ou les tapas.

La robe est jaune pâle.

Le nez est fin, citronné, avec une touche de poire williams et de pointe fermentaire.

La bouche est ronde, fraîche, croquante, avec une acidité totalement intégrée et un léger perlant donnant de la tonicité. C'est glougloutant à souhait.

La finale est marquée par une amertume "cheninesque"' (écorce de pomelo) et des notes poivrées/épicées.  Après aération, il gagne en tension et en "pierrosité" surtout en finale.




Nous remontons dans le Sud du Languedoc avec deux cépages : le Grenache blanc et la Marsanne. Le terroir argilo-calcaire apporte une structure et une tension que le premier vin n'avait pas. Plus de profondeur et d'austérité, aussi. Pas sûr qu'à l'aveugle je partirais en Languedoc...

La robe est encore plus pâle.

Le nez est plus délicat/discret, sur des notes florales/iodées/caillouteuses.

La bouche est éclatante, cristalline, avec un côté "eau de roche". Elle est donc plus austère aromatiquement, privilégiant le minéral (ça fait un peu eau salée légèrement citronnée, mais c'est super bon, hein).

La finale est très "kimmeridgienne" avec une belle mâche calcaire complétée par des notes salines et une touche citronnée. 

Un vin d'esthète dans un style dépouillé.

Le lendemain, il a gagné en ampleur et en gourmandise. Ne pas hésiter à le carafer, donc.



Lui  aussi vient du Languedoc. Aux deux cépages précédent s'ajoutent le Bourboulenc. Mais ça n'explique pas toute la différence. On sent dans ce vin plus l'intention du vinificateur qui a voulu en faire un vin opulent, sexy, qui épate dès la première gorgée. C'est réussi, même si on peut le trouver un peu too much. En tout cas, pour le prix (6,90 €), c'est carrément bluffant !...

La robe est proche du premier. 

Le nez, après une bonne aération, est bien expressif, sur des notes florales (rose, violette) et de fruits jaunes (pêche, abricot) sans que ce soit too much.

La bouche est ample, riche, avec une matière généreuse – limite grasse – équilibrée par une acidité affûtée, presque tranchante, et une aromatique plus exubérante que les deux autres vins (toujours fruits jaunes, et la rose).

La finale est finement mâchue, avec toujours des fruits, une p'tite pointe de rose et pas mal d'épices, et surtout une p... de fraîcheur qui équilibre tout ça. 

Un sacré vin !




mardi 29 mars 2016

Marginale attitude


Bon, avec ce Marginal 2014 de Terre des Chardons, nous ne sommes pas vraiment dans la découverte. Mais c'est bien parfois de revenir à des "classiques". Pour rappel, nous sommes en Costières de Nîmes sur un domaine pionnier dans la région en biodynamie.  Et cette cuvée est très majoritaire en Syrah, avec un peu de Grenache. Ceci dit, même si vous le buviez à l'aveugle, vous vous en douteriez un peu tellement la Syrah hurle en lui !...

La robe est pourpre sombre violacée.

Le nez, d'abord réduit, dévoile après aération des notes de fruits rouges et noirs (cerise noire, framboise) soulignées fortement par des senteurs poivrées/lardées/fumées, avec de la violette en arrière-plan et une pointe d'olive noire. Complexe, quoi.

La bouche est puissante, impétueuse, tout en étant enrobée d'une matière ronde et soyeuse aux tanins imperceptibles. L'ensemble est frais et harmonieux, d'une grande vigueur aromatique.

La finale envoie du lourd, reprenant les notes poivrées/lardées/fumées du nez mais aussi un côté "tabac gris",  avec ce qu'il faut de mâche pour apporter du caractère. Tout cela persiste longuement. On peut trouver limite too much ... ou jouissif. Ça dépend de la perspective ... et  du buveur.

En mangeant, le côté floral s'accentue, sur des notes de violette et de lavande. Etonnant...

Il résiste sans souci à une semaine d'ouverture. Je le trouve même plus sexy. Carafage conseillé, donc.


vendredi 25 mars 2016

La Savoie de long en large


Certains membres du "club Vins étonnants" m'avaient suggéré de faire une soirée autour des vins de Savoie. J'ai dit oui tout de suite, car j'ai de la sympathie autant pour les vins que pour leurs producteurs, tous très attachants (et ça ne gâte rien, doués pour ce qu'ils font). 

Restait le choix, à peu près aussi difficile que pour l'Alsace. Entre les différents cépages, les producteurs, les millésimes, on dépasse largement les 50 références. N'en sélectionner que huit fut douloureux, mais bon, faut ce qu'il faut... 


En général, nous démarrons par une bulle, mais comme il y avait trois cépages blancs au programme, il fallait que je réussisse à tous les accorder avec le repas. Le premier était la Jacquère, cépage qui donne souvent des vins terriblement vifs (euphémisme pour ne pas dire : "juste bons à récurer les sanitaires") justifiant la mauvaise réputation des vins savoyards, presque aussi terrible que celle  du Muscadet.

En fait, lorsque les raisins sont cueillis à maturité et vinifiés par de bons vignerons, la Jacquère donne des vins frais et harmonieux, pas du tout agressifs. C'était le cas des deux vins servis mercredi soir : la Pépie 2013 d'Adrien Berlioz avait une fraîcheur cristalline, désaltérante (hélas gâchée par une légère note liégeuse non perçue à l'ouverture de la bouteille) tandis que l'Autrement 2014 de Jacques Maillet avait plus de rondeur et d'ampleur - tout en ayant une juste tension - transcendant totalement l'image de ce cépage, et justifiant donc parfaitement son nom.


En guise de mise en bouche, les rillettes de maquereaux et les tranches de pain toastées allaient parfaitement avec les deux vins. On est (juste) bien....


Venait ensuite une paire de vins issus du cépage Altesse (ou Roussette). Celui de Giachino est rond, fruité, bien équilibré, mais manque peut-être de personnalité et de profondeur. Il ne peut pas déplaire ... mais ne vous fera pas non plus monter au ciel. Dans l'Altesse de Montagnieu de Peillot, on sent un travail beaucoup plus ambitieux. Le vigneron vendange le cépage à plusieurs degrés de maturité, du bien vif" jusqu'au surmûr, fait faire la malo à certains lots, et pas à d'autres... et assemble ensuite le tout. Résultat : un vin complet à la matière généreuse tendue par une très fine acidité. Déjà extra maintenant, et sans doute grand dans une dizaine d'années (encore faut-il  ne pas tout boire son stock  avant...) 

Pour accompagner ces deux vins, j'avais demandé un chef de nous préparer un pâté de poisson à l'ancienne avec une sauce crémée, et lui avait envoyé une photo en disant "il faut que ça ressemble un peu à ça" :


Il nous fait ceci :


Eh bien, c'était très proche de ce que j'avais mangé au Lion d'or à Arcins, avec ce bon goût de cuisine à l'ancienne que l'on croit parfois à jamais disparu. L'accord avec l'Altesse de Montagnieu étai superbe !

En cadeau bonus, j'avais pris dans ma cave une bouteille qui y repose depuis pas loin de dix ans : une Marestel 2004 de Dupasquier, histoire de montrer à quoi pouvait ressembler une Altesse au bout d'une douzaine d'années de vieillissement.

La robe est d'un or intense, le nez est très expressif, complexe, sur des notes terpéniques (évoquant un Riesling) mais aussi de fruits  confits et secs. La bouche a encore de la tonicité tout en étant riche, à la limite du moelleux sans tomber complètement dedans. C'est séveux, intense, un peu réglissé. Et la finale épicée est de grande persistance. Un coup de coeur pour toute l'assemblée. Et moi, je suis heureux qu'elle ait ainsi achevé sa vie ;-)


Nous avons poursuivi avec le cépage Bergeron, appelé Roussanne dans le reste de la France. Je n'en ai pris ici qu'une seule version : la Binette 2014 d'Adrien Berlioz. Bonne pioche : ce vin présente une fraîcheur et une tonicité rarissime pour ce cépage souvent pataud. Tout en ayant les notes abricotées habituelles de la Roussanne. N'avoir qu'un verre de pris a permis aux convives de pouvoir boire aussi la Marestel 2004 avec le plat suivant :


C'était un tajine de volaille, épicé sans être corsé, avec quelques fruits secs. Il a bien mis en valeur les deux vins tout en n'étant pas écrasé. 


Il y avait des rouges, tout de même. La Mondeuse, souvent, n'a pas tellement meilleure réputation que la Jacquère, car elle aussi cueillie un peu trop tôt. Elle est alors poivrée et variétale, et c'est vraiment pas terrible. J'ai choisi ici deux vins que tout oppose : la Mondeuse du Bugey 2014 de Peillot qui est une bombe de fruit, pulpeuse,  intense, aux tannins (mûrs) bien présents en fin de bouche.

Et puis, il y avait une Mondeuse tradition 2005 de Michel Grisard, ouverte depuis le matin pour qu'elle s'oxygène en douceur : la robe est rubis translucide, plus bourguignonne que savoyarde. Le nez est fin, subtil, sur des notes de fruits rouges, de violette et d'épices. La bouche est fine, élégante, soyeuse, avec une fraîcheur impressionnante, et encore beaucoup de fruité pour son âge, même si des arômes tertiaires commencent à poindre. Un vin superbe, en début de maturité, mais qui a encore du temps devant lui. 


Evidemment... de la tomme de Savoie.
Un fromage qui ne nuit pas du tout aux vins rouges.


Une dégustation "Vins étonnants" sans bulle, c'est juste pas possible. Eh bien la voilà en dessert : un Montagnieu Brut de Peillot. Un assemblage étonnant de Chardonnay, Altesse ... et Mondeuse (en pressée directe). Son dosage permet de la boire sans problème en dessert, d'autant que l'acidité n'est pas trop marquée.


Son goût fruité allait très bien avec la tarte aux pommes. On pourrait croire que ce Montagnieu a été conçu juste pour celle-ci !

Eh bien, encore une belle soirée qui a montrée qu'il y avait des vins de haut niveau dans cette région souvent méprisée.














jeudi 24 mars 2016

Oh, Gabrielle ... Tu es de retour !



"Gabrielle, tu flottes dans mon cœur" chantait le barde belge. C'est un peu la même chose avec les vins des Terrasses ... de Gabrielle. Une fois qu'on y a goûté, on y est "d'amour enchaîné". Depuis quelques mois, c'était le sevrage obligatoire sur certaines cuvées. Eh bien, depuis aujourd'hui, vous pouvez revenir à la vie normale (soit, un jour Ponpon, le lendemain Un jour au cirque, le surlendemain Et pour quelques raisins etc...).

Nous avons déjà dégusté toutes les cuvées nouvellement arrivées. Même si elles viennent tout juste d'être embouteillées, c'est déjà prometteur ! (mais si vous pouvez attendre, c'est mieux)


Summer of love 2015 a changé cette année de cépage : exit le Nielluccio (uniquement sur Et pour quelques raisins ) remplacé par le plus classique Cinsault. La robe est un peu moins prononcée, même si plus intense qu'un rosé de Provence. L'aromatique est très framboise /bonbon anglais/orange sanguine. La bouche est ronde, fraîche, très expressive, avec pas mal d'épices sans qu'ils soient omniprésents. Il est encore un peu serré par la mise en bouteille. Attendez-le deux mois : il sera parfait pour l'été ! 


Ponpon le Cheval 2015 est plus proche du style du 2013 que du 2014. À savoir assez peu coloré pour un Languedoc, sans un seul tanin, un fruit très expressif, beaucoup de fraîcheur, une hénaurme buvabilité (11.50 % d'alcool) et une finale trèèès épicée (mais pas dure), signature de la Counoise


Et pour quelques raisins de plus 2015, à l'inverse de Ponpon, est plus puissant/concentré que l'année dernière. Par contre, la tonicité et la fraîcheur du Nielluccio est toujours là, avec pas mal d'épices (moins que Ponpon, tout de même). Autant Ponpon peut se boire seul à l'apéro, autant celui-ci gagnera à accompagner des grillades ou un couscous. 


Un jour au cirque 2014 est un peu dans l'esprit des Cerises dont je parlais il y a peu. Pas étonnant, me direz-vous : même appellation, même millésime, terroir de schistes, assemblage proche. Il est toutefois un peu moins fruits rouges et un peu plus fruits noirs, avec un côté lard fumé/olive/garrigue plus marqué. Plus typé quoi. Par contre, les tanins sont fins, soyeux, ça descend tout seul dans le gosier (12.5 % d'alcool). Avec de l'agneau basse-temp' et pas mal d'herbes provençales, ce sera top !


Métempsycose liquide n°9 est le nouveau haut-de-gamme du domaine. Plus concentré que les autres cuvées tout en gardant le côté "glissant" du schiste, il est aussi légèrement boisé. Majoritairement Syrah/Mourvèdre, il y a de la fraîcheur mentholée et des épices, du poivre. C'est vraiment intense sans être pesant. Il sera meilleur dans 2-3 ans, mais avec une belle côte de boeuf, ça doit le faire. 


mercredi 23 mars 2016

T'aimes pas le vin ? Essaie Jour de teuf !


Evidemment, ce message s'adresse aux lecteurs majeurs. Il n'est pas question sur ce blog d'inciter les mineurs à boire des boissons qui leur sont interdites. Par contre, nous avons à coeur de trouver la boisson qui convienne le mieux à chacun de nos clients. Je ne doute pas que Jour de teuf, dernière création du Clos de Gravillas,  plaira  à 99,99 % de ceux-ci, y compris à ceux qui sont réticents aux vins. 

Car il faut bien l'avouer : à part les 10.50 % d'alcool contenus dans cette bouteille, il n'y a pas grand chose qui fasse penser à du vin : c'est fruité, gazeux, sucré, gourmand... Bref, plus proche de l'Orangina que d'un Madiran ou d'un Pommard. 

Comme nous sommes des gens consciencieux, nous avons fait un test sur notre tout jeune magasinier, 19 ans au compteur, pas franchement fan de vin pour l'instant. Il a goûté, trouvé ça "sympa" (je cite) et en a pris une nouvelle gorgée. Bref ... ça marche !

La robe est jaune pâle, translucide, avec des bulles qui disparaissent très rapidement.

Le nez est frais, tentateur, sur des notes de muscat, de fleur d'oranger et d'abricot.

La bouche est ronde, tonique, avec une effervescence bien prononcée mais pas agressive – joyeuse et communicative, plutôt –  et une aromatique fruitée/muscatée expressive sans être pesante. 

La douceur finale est bien équilibrée par le duo amertume/astringence, ce qui fait que le sucre résiduel n'a rien de pesant, d'autant que c'est encore le fruit muscaté qui domine. On croque dans le raisin !

Ah oui, je ne vous ai pas parlé du process. Les Bokanowski ont mis un moût de muscat qui n'avait pas fini sa fermentation en bouteille (environ 9.5 % transformé), ils ont rebouché... et puis c'est tout ! Comme les levures manquent rapidement d'oxygène pour poursuivre la fermentation, elles font vite grève ... et ne transforment pas tout le sucre contenu. Comme dans un Cerdon du Bugey ou un Ribambulles, il y a du gaz (mais pas trop) et du sucre (mais pas trop). 




mardi 22 mars 2016

Rougiers 2010 : tout le Sud-Ouest que j'aime !


Cette cuvée Les Rougiers n'est produite que lorsque le  millésime le permet. Avec le réchauffement climatique, cela arrive de plus en plus souvent. Mais cela n'empêche pas que chaque année offre une expression différente du Mansois (appelé ailleurs Braucol ou Fer Servadou). Ayant pu goûter 2009, 2010 et 2011, c'est clairement 2010 que je préfère. 2009 est un peu trop mûr à mon goût,  et 2011 demande encore à s'assagir.

Cette  cuvée, c'est celle dont le vigneron est le plus fier. Il la signe donc de son nom : Philippe Teulier. Mais il s'agit bien sûr du Domaine du Cros, connu et reconnu pour son Lo sang del païs (dont le 2015 à venir est une pure merveille). 

En attendant, je ne peux que vous inciter à déguster ce Rougiers 2010. Car c'est certainement l'une des plus belles expression du Mansois que je n'ai jamais bue (avec le Champ d'Orphée du côté de Gaillac).

La robe est grenat très sombre, sans une once de violacé.

Le nez est plutôt discret tout en étant classieux, genre brun ténébreux : cerise noir, ronce, graphite, avec une pointe de poivre de cassis et un "trait de vert".

La bouche démarre ample et soyeuse, pleine de fraîcheur et de fruit, puis elle se densifie sans se durcir, gagne en puissance et en expressivité, traçant droit au-delà même de la finale.

Celle-ci est d'une grande intensité, avec des tannins solides, mais polis/patinés par le temps et d'une maturité totalement aboutie. Renforcés par une fraîcheur tonique très "menthol/cassis frais" mais aussi ce goût de sang séché, ferreux, poivré, ils éveillent en vous une jubilation incontrôlable. Peut-être parce qu'ils sonnent vrai, tout simplement. Et que cette absence d'artifices est tellement rare de nos jours que l'on est tout ému face à cette naturalité.

Comme je l'avais déjà écrit à propos d'une Syrah qui avait trouvé refuge dans le Gers, c'est ce genre d'émotion que je recherche lorsque je bois un vin du Sud-Ouest. Ce côté "paysan sans fioriture" qui te fait oublier les chichis de la civilisation. Ce Rougiers 2010 pourrait en devenir l'icône, tant il est beau et simple à la fois (genre Bernard Giraudeau avec une barbe de trois jours, histoire d'illustrer).

PS: l'aération le rend plus fin et plus sensuel. N'hésitez pas à la carafer.


lundi 21 mars 2016

La Pépière, comme si vous y étiez


Le domaine de la Pépière n'existe pas depuis de multiples générations : Marc Ollivier l'a créé en 1984 autour de la demeure familiale de Maisdon sur Yèvre. Un peu comme André-Michel Bregeon, ce sont les Etats-Unis qui lui ont permis de se développer, car en France, le Muscadet a encore souvent une image de vins de piètre qualité.  

Rémi, Gwénaëlle et Marc (photo domaine)
En 2006, Rémi Branger dont les parent étaient également viticulteurs, s'associe avec Marc. Il amène avec lui les parcelles de Gras Moutons, mais aussi l'envie de travailler en bio qui se concrétise très rapidement.

En 2013, l'arrivée de Gwénaëlle Croix permet d'aller encore vers plus de précision à la vigne, avec des essais en biodynamie qui portent leur fruits et vont se généraliser à l'ensemble du domaine.


Mais Gwen n'est pas qu'une (très) bonne technicienne. La cadette de l'équipe maîtrise parfaitement la communication, que ce soit sur les stands des salons ou dans les visites dans les vignes et les chais. J'ai passé début mars trois heures en sa compagnie qui m'ont permis de mieux appréhender le domaine que je ne connaissais qu'à travers les bouteilles dégustées.


Dès mon arrivée, elle m'a proposé de faire une visite approfondie des parcelles, et de passer aux différents chais afin de déguster les cuvées en cours d'élevage. Oui, parce qu'il y a trois chais : presque tous les élevages se font en cuves souterraines. Or, la place dans le chai originel de la Pépière est limitée. Plutôt que de construire un nouveau bâtiment, l'équipe a préféré occuper des locaux déjà existants qui ne servaient plus.  Tous les raisins sont pressurés à la Pépière. Marc véhicule ensuite les moûts jusqu'à leur cuve respective. Une fois là-bas, il n'en bougeront plus : la mise en bouteilles se fait sur place.


Nous démarrons la visite par la croupe de Gras Moutons. Etant donné que c'est le nom du lieu cadastral, d'autres vignerons peuvent l'utiliser. C'est le cas de la Haute-Févrie, appartenant aussi à une famille Branger (sans lien direct avec Rémi). Nous sommes ici sur du gneiss, traversé par une veine d'amphibolite (une roche verte, connue grâce à  Superman Jo Landron). Il a plu dans la nuit, ce qui explique la présence d'eau. Mais sinon, le sol est plutôt bien drainant. Ceci dit, l'équipe envisage de semer l'hiver prochain une couverture végétale (avoine, pois, féverolle) afin d'améliorer la portance (car problème de ravinement ici et là).

Les vignes les plus jeunes ont une vingtaine d'années, les plus âgées environ 70 ans. Ces dernières sont destinées depuis 2013 à la cuvée Monnières Saint-Fiacre (nouvellement cru communal).

Contrairement à la majorité des producteurs locaux, la Pépière a mis en place trois fils de palissages. Cela permet de retarder le plus possible le premier rognage, d'augmenter la surface foliaire (et donc d'avoir une meilleure maturité).  

N'avoir qu'un fil pose plusieurs soucis : les vignerons doivent démarrer les rognages très tôt et repasser régulièrement. La végétation est stimulée à chaque fois aux dépens des grappes, et la surface foliaire est nettement plus faible. Si on ajoute à cela à des sols désherbés (moins de concurrence), des rendements élevés, on peut comprendre pourquoi on obtient des raisins à peine mûrs, nécessitant une chaptalisation systématique, et donnant des vins proches du décapant.

Gwen me raconte ses derniers millésimes : 2014 était  au départ abominable, et puis fin août et septembre ont été magnifiques, ce qui a permis d'avoir de beaux raisins (et des vins très intéressants qui devraient donner de très belles choses au bout de quelques années de garde). 

2015 aurait dû être l'année parfaite. Et puis fin août, ils ont reçu 80 mm d'eau qui a fait gonfler les raisins. Ce qui est assez surréaliste, c'est que cela a provoqué l'expulsion d'un certain nombre de baies des grappes, du fait de la pression générée par le gonflement. Des vendanges en vert 100 % naturelles ;-)  Ceci dit, le beau temps qui a suivi a permis d'avoir une vendange de qualité.


Nous arrivons à l'ancien chai de Pierre Lebas, désormais à la retraite. Ce qui ne l'empêche pas de passer pour tailler le bout de gras. Toujours intéressant d'avoir la vision des Anciens. Ici sont élevés les crus communaux de Monnière Saint-Fiacre et Gorges. Ce dernier provient d'un échange de parcelle entre la Pépière et le domaine Bregeon. Cela leur permet  d'élargir à moindre frais leur palette de crus, Dans la pratique, c'est un échange de moût, les raisins étant pressurés sur les domaines originels.

Dans leur cahier des charges, les vins portant l'appellation d'un cru communal doit avoir au moins deux ans d'élevage sur lies, mais c'est souvent plus long dans la pratique. 

Si l'on a une idée assez précise du profil d'un vin de Gorges, il est encore trop tôt pour définir celui d'un Monnières Saint-Fiacre (premier millésime : 2013).

Monnières Saint-Fiacre 2014 : Pur, tendu, un peu austère, avec une impressionnante finale, soulignée par une noble amertume (écorce d'agrume). Il basculera vers plus de rondeur et de complexité durant l'été prochain 

Monnières Saint-Fiacre 2015 : nez superbe, déjà flatteur. En bouche, le charme est immédiat, avec une belle tension sans raideur. Assez proche du 2013, en fait. C'est très prometteur.

Le terroir de Gorges est plus froid car nettement est plus argileux, avec des maturités plus tardives. Paradoxalement, les producteurs de ce cru ont tendance à vendanger tôt. Cela explique le côté "acéré" des vins en jeunesse. Par contre, quand ça vieillit, outch... c'est grand !

Gorges 2014 : nez fumé intense. La bouche est vive, saline, iodée, avec une matière ample et ronde, gourmande. Assez proche du Gorges 14 de Bregeon.

Gorges 2015 : on retrouve la tension et la salinité brégeonienne, avec plus de gras, de richesse. Très large au départ, un peu court en finale.

Pour avoir dégusté ce millésime la veille chez Bregeon, la différence est frappante (le sien caillouteux/austère). Il y a deux variantes (principales) pour l'expliquer : la fermentation alcoolique (beaucoup plus rapide en 2015 chez Bregeon) et l'élevage (forme des cuves ?). Enfin, j'aime bien les deux, ceci dit ;-)





Bon allez, il faut repartir, car il y a encore à voir (et à boire). Ce coup-ci, nous faisons une halte au  Clos des Morines. J'ai beau chercher le mur qui l'entoure, je ne le vois. Normal, y en a pas. Ca s'appelle comme ça, épuissétout. Comme nous sommes sur le cru communal Château Thébaud,  on ne verra désormais plus que celui-ci sur l'étiquette dans les prochains millésimes (comme Clisson et Monnières Saint-Fiacre).


Le sol est constitué de granodiorite, qui est une roche magmatique plutonique grenue... comme le Gabro de Gorges. Par contre, elle est plus friable, et les sols sont plus faciles à travailler.


Entre la parcelle et les maisons au loin, il y a une falaise impression creusée par la Maine. Les vignes ci-dessus ne rentreront plus dans Chateau-Thébaud, mais dans le Muscadet "générique".



Ce sont celles-ci qui sont destinées à Château Thébaud. Et c'est vrai qu'elles ont plus de gueule ! Âgées de plus de  60 ans, elles ont une bonne résistance à l'humidité comme à la sécheresse, grâce à leurs racines profondément ancrées dans le sol.


Dans les  années qui viennent, le domaine devrait encore s'enrichir de vieilles vignes de ce type.


En effet, à la Pépière, on préfère racheter des vieilles vignes plutôt que de faire des nouvelles plantations. Il y a  un gros travail pour les remettre en état, mais cela en vaut la peine d'un point de vue qualité. Et cela permet de préserver un  patrimoine qui risquerait de disparaître. Pour les complantations, le domaine utilise des sélections massales prélevées sur ses vieilles vignes, et les font greffer à l'anglaise par un pépiniériste local consciencieux.


Cette fois-ci nous sommes dans l'ancien chai des parents de Rémi Branger. Il ressemble assez au précédent en terme d'austérité. Ici l'on trouve les cuves de Château Thébaud ... et les vins rouges.

Château Thébaud 2015 : c'est mûr, riche, limite gras, et manquant un peu de tension. En fait, il fait sa malo, ce qui n'était pas prévu. Il est ainsi vrai que cette "malo"  bouleverse l'équilibre général. Le résultat final se verra avec le temps. Ca pourrait donner un super vin, même si pas atypique du Muscadet.

Avant de passer au suivant, Gwen rince la "canne" car elle ne veut pas contaminer l'autre millésime avec les bactéries lactiques.

Château Thébaud 2014 :  un vin droit, puissant, d'une grande noblesse. Sobre, mais classe.

Château Thébaud 2012 : moins de fil directeur que 2014 , plus pépère, mais la matière magnifique. Plus dans le style du cru, pour Gwen. Il faut lui laisser du temps. La mise prochaine devrait lui faire du bien (le retendre, entre autres)

Et non, il n'y a pas de Château Thébaud 2013 : la qualité n'était pas jugée suffisante. 


Ces barriques vides vont être prêtées pour les Vertivinies. Elles s'appellent "Reviens"...


Intérieur d'une cuve souterraine


Nous passons aux rouges, particulièrement réussis en 2015.

Cabernet 2015 : moitié cuve / moitié barriques. Pour l'instant, il fait en bouche plus "jus de raisin sans sucre" que vin issu de cabernet. Mais la matière est mûre, juteuse, veloutée. Miam !

Côt 15 : lui fait plus vin, avec une matière bien mûre, bien épicée (on dirait un vin chaud servi froid). Difficile de ne pas songer à Cahors dans une année réussie (2015, par ex).


Et nous voilà au Clos des Briords. C'est la première parcelle que Marc Ollivier a séparée de son Muscadet "ordinaire". Dans les dégustations, elle s'en sortait toujours mieux que les autres


Rien qu'en voyant les pieds, on ne peut que se dire que ça  doit donner des grands vins !



Et pour finir, retour à la Pépière (les bâtiments sont derrière les arbres. Ici, ce sont les plus vieux Cabernets Francs. On y trouve aussi le Côt et le Melon de Bourgogne destiné au Muscadet "ordinaire" (qui ne l'est pas du tout, en fait).


Ici, c'est le vieux bon granit breton, souvent très affleurant (souvent moins de 30 cm de sol, limoneux-sableux qui ne retient pas l'eau). D'où le nom de la Pépière (pépie = avoir soif).


On trouve aussi du quartz blanc...


... et du quartz rose

Retour au chai originel où nous  dégustons les cuvées restantes...

Gras Moutons 2015 : en un mot, d'la bombe ! De la rondeur, de la fraîcheur, de l'éclat, de l'intensité. Et un superbe équilibre. Dès qu'il va sortir (début d'été ?), jetez-vous dessus, car des vins de cette qualité à moins de 10 €, ce n'est même pas censé exister.

Clisson 2014 : là aussi, y a du vin. Plus intense, plus droit, un peu plus austère aussi. Mais il promet d'être un très grand Clisson (j'ai hâte de refaire un match avec Monnières 2014).

Clisson 2015 : plus mûr et plus ouvert, et carrément majestueux. On partirait plus sur un Chablis mûr que sur un Muscadet. Super bouquet final de cette belle matinée !

Il est 13h15. Le Berlingo est chargé. Gwen a une famille à choyer, et moi du vin à aller chercher à la Grange aux Belles. La vie continue, quoi, même si le temps s'est arrêté trois heures durant. Merci pour le superbe accueil !