vendredi 30 novembre 2018

Le "jugement de Limoges" ou Bordeaux Vs le reste du monde


Lors de la rencontre précédente du club "Vins étonnants", nous avions évoqué de faire une soirée Bordeaux. C'est vrai que, l'air de rien, les amateurs ont tendance à éviter cette région viticole car il y a a tellement d'autres choses à découvrir. Et puis je me suis dit qu'il serait plus intéressant de confronter à l'aveugle chaque vin bordelais à un challenger d'une autre région, qu'elle soit française ou étrangère. Alors, bon, pour chaque paire, j'ai fait avec les vins que j'avais à ma disposition dans l'entrepôt, en essayant d'avoir une confrontation équilibrée. D'une façon générale, les outsiders étaient un brin plus chers que les Bordeaux (à 1-2 € près). Que la confrontation commence !


Nous démarrons avec une paire de vins blancs, très différents l'un de l'autre : à ma gauche, le Sauvignon by Beynat 2017, un Bordeaux blanc 100 % Sauvignon. À ma droite, un Bergerac blanc Ulma 2017 de Tirecul la Gravière, composée de sémillon, muscadelle ... et de Chenin (ça, je ne l'ai pas indiqué, car ça aurait mis la puce à l'oreille de mes dégustateurs). Le Sauvignon sauvignonne comme il se doit, heureusement plus sur le bourgeon de cassis et le pomelo que sur le buis et le pipi de chat. Un vin frais, plutôt énergique, bien équilibré, qui va bien avec les rillettes de carrelet. Le Bergerac a un nez plus original, sur les fleurs blanches, le miel, la poire, une bouche plus ronde, moins tendue, et une finale est plus crayeuse (sols très calcaires). Il est un peu écrasé par les rillettes. Un carpaccio de Saint-Jacques lui conviendrait mieux. 

On me demande s'il y a un piège. Je fais l'erreur de répondre non. Du coup, une majorité répond sans hésiter que c'est le Sauvignon le bordelais. Il faut dire que Ulma ne ressemble pas du tout à un Bordeaux. Fallait bien démarrer facile ;-)

D'une façon générale, Ulma a été préférée par les dégustateurs, même s'ils ont bien aimé le Sauvignon qui réussit à ne pas tomber dans la caricature. 


Pour la deuxième confrontation, j'avais choisi deux vins légers, non boisés, qui ne ressemblaient pas du tout à des Bordeaux.  Ce qui rendait plus difficile de savoir  lequel était bordelais. À ma gauche, donc un Aglagla by Beynat 2017, une macération carbonique de raisins provenant de vignes qui avaient gelé au printemps (avec une peau insuffisamment mûre pour être vinifié classiquement). À ma droite, Pretty Good 2015 de Tillia Estate, un 100 % Cabernet Franc de Croatie. Le Bordeaux a un faux vrai air de Beaujolais avec une bouche ronde, légèrement pulpeuse, au fruit primaire, un peu floral. Le Croate poivronne pour certains (je le trouve plus feuille de cassis, perso), avec une bouche beaucoup plus vive, une matière plus fine, une finale plus tonique, un peu végétale.  Une majorité le place en Loire. Et donc par déduction, place l'Aglagla à Bordeaux  ... tout en ayant du mal à croire que ça en est un ! Evidemment, grosse surprise lorsque j'annonce que son challenger était croate !

À noter que les deux vins étaient beaucoup plus plaisants avec la terrine (faut dire que ce sont des vins de casse-croûte). Cette dernière apportait le peps qui manquait au Beynat. 


On arrive maintenant aux choses sérieuses avec des vins d'un autre niveau : à ma gauche, Hécate 2015 du Ch. Barouillet (Merlot, Cabernet Sauvignon, Cabernet Franc). À ma droite le Haut-Médoc 2015 du Clos du Jaugueyron (Cabernet Sauvignon, Merlot, Petit Verdot). Le Pécharmant se montre plus complexe au nez comme en bouche : vous en prenez plein les papilles. Le Haut-Médoc est plus sérieux, plus droit. Il ne cherche pas à faire son intéressant, mais on sent qu'il a un très beau potentiel : lorsque le Cabernet Sauvignon va commencer basculer sur le tertiaire, il sera superbe. Avec la tranche de rumsteck, on le sent bien dans son élément. Je ne sais pas si les dégustateurs se sont dits inconsciemment que le plus séduisant était forcément le Bordeaux, mais une bonne partie croit que c'est l'Hécate. Per-du !  Ils vont pouvoir se refaire avec la paire suivante... 


Dernière paire de rouges sur les fromages, avec cette fois-ci, deux vins à majorité Merlot. Le premier, Chloé 2015 de JL Denois (Limoux) est même un monocépage. Son adversaire, un Pavillon de Saint-Jacques 2015 (Lalande de Pomerol) a un assemblage 75% Merlot, 20% Cabernet franc, 5% Cabernet sauvignon. Cette fois-ci, c'est le non-bordelais qui se la joue "sérieux", avec une matière dense, profonde, et une puissante mâche calcaire finale. Alors que le Bordeaux, issu de terroirs argilo-graveleux, a une bouche plus souple, un nez plus séducteur, intégrant avec doigté les notes d'élevage en fûts.  Gros doute dans l'assistance. Car si l'on prend la logique précédente, le premier serait bordelais... Mais tout de même,  le second ressemble sacrément à ce que l'on attend d'un vin de Bordeaux. Après réflexion, une majorité penche pour Lalande. Bravo ! Par contre, pas grand monde imaginait que le challenger venait de Limoux.... 


Nous terminons avec deux liquoreux sur un crumble aux pommes : à ma gauche un Monbazar 2017 de Barouillet, un Monbazillac sans AOC pour cause de degré trop faible (11 %) et de Chenin trop présent (50 % !!!), et sans sulfites ajoutés. À ma gauche un Palais d'Or 2015 de Bouillerot (Côtes de Bordeaux Saint-Macaire) issu de très vieilles vignes de Sémillon. Le premier sent le coing confit et l'écorce d'orange confite. Sa bouche est dense, onctueuse, avec une grande sensation de fraîcheur, et très peu d'alcool ressenti (et pour cause).Un très joli vin. Le second a un nez plus abricoté /vanillé, avec également de l'orange confite. La bouche est plus fine, un peu plus élancée, mais moins fraîche : on ressent plus l'alcool. Bu seul, je pense qu'il aurait été bien apprécié, mais il souffre un peu de la comparaison. 

Vu le nez "cognassié" du premier, il est facile de le repérer comme intrus. Par contre, lorsque j'ai demandé quelle était l'appellation du Bordeaux, ça a patiné pas mal, mais Yves a finit par trouver Saint-Macaire : félicitations !

Contrairement à ce que le titre pouvait laisser entendre, il n'y a bien sûr aucune leçon à tirer de cette confrontation, si ce n'est peut-être que les appellations "hors-Bordeaux" n'ont rien à envier à ce qui fut longtemps un modèle pour la viticulture mondiale. En tout cas, cette première dégustation a beaucoup plu : cela donne envie de recommencer sur d'autres thèmes. Le Malbec, par exemple ? 

jeudi 29 novembre 2018

J'en ai rêvé : Jaugueyron l'a fait !


J'ai eu le rare privilège de boire des cuvées parcellaires dans les plus grands GCC bordelais (Lafite, Margaux, Ausone, Latour ... et une trentaine d'autres) avant leur assemblage et leur long élevage en barriques. Une période trop  brève où le vin exprime le terroir avec une grande pureté sans être pris dans la gangue de bois qu'il mettra des années à digérer.  J'ai alors souvent dit au maître de chai : "ça, vous devriez le mettre en bouteille, c'est génial !"

Même s'il y a un retour en arrière sur le "boisage" des vins, presque personne n'ose se passer de barriques, tant elle fait partie du "pack prestige". Certains vont me répondre Bel Air Marquis d'Aligre. Oui, je sais. Mais je parlais de vins avec une approche plus "moderne", on va dire (plus de couleur, de matière, de fruits...). Même Pontet-Canet s'interdit pour l'instant de faire une croix sur les fûts de chêne. 

Il est également très rare de n'utiliser que du cabernet en Bordelais, y compris dans le Médoc. Lafite s'y est essayé sur quelques millésimes, mais cela relevait sans doute plus de la nécessité que de l'envie. 

Bref, je me demandais si un jour je pourrais boire un grand cabernet bordelais non boisé  ??? 

Eh bien Michel Théron du Clos de Jaugueyron a réalisé mon rêve : 

d'une part, il s'est lancé dans un assemblage jamais vu  dans le Médoc : 75% cabernet sauvignon et 25% cabernet franc. Issus, s'il vous plait, d'une groupe graveleuse de l'appellation Margaux

D'autre part, cette Cuvée Perrain 2014 n'a JAMAIS rencontré une douelle de bois, que ce soit durant sa fermentation puis son élevage de 3 ans. 

Et ça donne quoi ? Il suffit de lire la suite pour le savoir ;-)


La robe est  grenat très sombre, à peine translucide. 

Le nez est très sobre, mais classieux : fruits noirs (mûre, cassis), cigare et graphite, dégageant une impression de fraîcheur (petite pointe mentholée). 

La bouche allie ampleur et tension, déployant avec énergie une matière finement veloutée et exprimant un fruit frais, éclatant, rarement rencontré dans la région. L'ensemble est étonnamment aérien et digeste, même si l'on pressent qu'il y a en arrière-plan  une matière plus dense et profonde qu'il n'y paraît. 

La finale prolonge l'élan, tout  en gagnant en mâche. Elle est dominée par les fruits noirs légèrement épicés. Une partie de notre cerveau cherche désespérément les notes grillées apportées par le chêne. En vain. La mûre et la cerise noire ont le dernier mot, avec une touche poudreuse de cacao. 

S'il pourra déjà procurer beaucoup de plaisir sur une côte de boeuf bien persillée, ce vin gardera à être attendu au moins 5 ans pour délivrer toute sa complexité. 


mardi 27 novembre 2018

Supply-Royer, l'intégrale (ou presque)


À Vins étonnants, nous ne faisons pas les choses à moitié : nous nous sommes dits que, quitte à parler du nouvel arrivage de Supply-Royer, autant parler de toutes les cuvées. Ou presque : en effet, j'ai omis les Intillières car nous n'en recevons que très peu. Mais sinon, l'équipe est complète, sachant que le Bourboulenc de Nega Saumas n'arrivera qu'au printemps prochain.

Ce n'est pas un scoop pour les habitués du site : ce ne sont pas des vins pour PDF (palais de fillette). La concentration et la barrique sont au rendez-vous. Mais les années passant, les vignes prenant de l'âge et le vigneron de l'expérience, les vins gagnent en définition et en équilibre. Et même moi, qui suis PDF++ je réussis à les apprécier, voire plus pour certains.

Nota : la dégustation ci-dessous a été faite dans l'ordre indiqué, sur une durée de deux heures. Il est probable que si vous dégustez le Mourvèdre final sans avoir bu préalablement les trois autres rouges du domaine, il paraîtra plus puissant et tannique que dans ma description. 



La robe est jaune paille, brillante. 

Le nez est gourmand, sur la poire au sirop, l'agrume confit, le beurre noisette et le pain grillé. 

La bouche est ronde, pleine, charnue, avec une matière mûre et dense,  et une fraîcheur provenant plus de l'aromatique que de l'acidité. L'ensemble est plutôt bien équilibré, même si on sent que ça chauffe dans l'arrière-cuisine (14.5 %). 

La finale est puissante, concentrée, à la limite du tannique, avec un retour de la poire et de l'agrume confit, puis une persistance sur les notes beurrées/grillées  – et une sensation alcooleuse plus présente. 



La robe est d'un or lumineux, brillant. 

Le nez est très expressif, sur la crème catalane passée sous le grill, l'abricot bien mûr, des notes beurrées/grillées/fumées, et très légèrement vanillées. Le bois est encore clairement marqué ... mais c'est du joli bois !

La bouche est plus élancée et tendue que la Marsanne, avec une matière plus moelleuse et profonde, et une impression de fraîcheur plus marquée. On est moins dans la force tranquille et plus dans l'exubérance séductrice. 

La finale prolonge tout cela sans le moindre à-coup, avec une tension qui ne faiblit pas, sur une aromatique mêlant l'abricot et les notes d'élevage, et un persitance sur le  beurré/grillé qui rappelle la Marsanne. 



La robe est pourpre sombre, limite opaque. 

Le nez est pétaradant, sur la cerise noire, la quetsche, le cacao et les épices douces. 

La bouche est ronde, ample, veloutée, avec une matière charnue, gourmande, au fruit bien mûr, et une tension qui évite toute langueur ou mollesse. 

La finale, comme la Roussanne, prolonge la bouche sans le moindre à-coup, avec en bonus un bon goût de cerise noire (+ noyau), de chocolat aux épices qui vous tapisse agréablement le palais. 


La robe est encore plus sombre.

Le nez fait plus mûr, faisant penser à un Maury ou à un Porto, sur des notes de cerise et de chocolat, mais aussi de cuir et d'épices. 

La bouche est raccord : là encore, on a l'impression de boire un vin muté du Roussillon, le sucre en moins. La matière est veloutée, avec un peu plus de densité et d'opulence que le Badaïre. Le fruit est plus présent, dans un style plus mûr et chocolaté. 

La finale est puissante, avec des tanins présents mais bien mûrs, sur une aromatique de liqueur de cerise au chocolat (toujours sans sucre), et une belle persistance sur les épices de Noël et la liqueur d'orange. 


La robe est encore plus sombre (si, c'est possible)

Le nez est réduit, fermé, même si l'on sent des épices et des fruits noirs en arrière-plan. Le lendemain, on est sur la mûre, la cerise noir, le café et le poivre. 

La bouche est élancée, énergique, avec une matière dense, séveuse, veloutée, et une belle sensation de fraîcheur, plus due aux notes de menthol et d'eucalyptus qu'à l'acidité (on est dans le résineux/balsamique que j'aime beaucoup). 

La finale gagne encore en séveux et en intensité, avec une accentuation du résineux/balsamique, avec du fruit noir à donf',  de la réglisse... C'est limite violent, mais c'est p... bon !


La robe est proche du précédent. 

Le nez, par contre, est superbe, sur les fruits rouges et noirs, le menthol, le poivre blanc.

La bouche est plus douce et séveuse, et en même temps plus fraîche, plus mentholée, avec un fruit noir riche, crémeux. À cela, s'ajoute une tension sans la moindre raideur.  Rarement bu un Mourvèdre aussi sensuel (car souvent, ce cépage est un peu "raide"). 

La finale est juteuse, gourmande, avec toujours cette sève et le résino-balsamique-mentholé en mode intensif.  Et puis tout de même des notes d'élevage, bien intégrées dans la riche matière. Déjà très bon maintenant, certainement excellent dans 3-5 ans. 

lundi 26 novembre 2018

Restanques rouge 2017 : plus en finesse


Les Restanques rouge étant devenu une cuvée incontournable de Vins étonnants, il est important de la déguster à chaque nouveau millésime, d'autant que son assemblage n'est jamais exactement le même. Par exemple, sur ce 2017, la part de la Syrah augmente, alors que celle du Mourvèdre baisse. Ce millésime solaire avait nui à la tension et à la fraîcheur des Restanques blanc et rosé, plus ronds que d'ordinaire. J'avais une petite crainte pour le rouge. Finalement infondé : je le trouve au contraire, plus fin que l'année dernière. Par contre, il est encore un peu jeunot et fermé. Je pense qu'il sera meilleur à la sortie de l'hiver.

La robe est grenat sombre translucide aux reflets violacés.  

Le nez, d'abord discret, évoque après aération le coulis de fruits noirs, mais aussi la fraise confite, et puis le poivre et les épices douces. 

La bouche est ronde, fraîche et élancée, avec une matière fine, soyeuse, prenant progressivement de la densité. On retrouve les fruits noirs épicés, rafraîchis par une touche végétal (menthol, eucalyptus). 

La finale possède une mâche savoureuse, entre mûre et cerise noire, puis le poivre et le menthol reviennent en force, avec une persistance sur des notes réglissées et une fine amertume. 

Ce vin tout en nuances devrait pouvoir se marier à de nombreux plats et viandes, même si c'est probablement l'agneau qui lui conviendra le mieux, accompagné de légumes et condiments évoquant la Provence. Vous entendrez chann'ter les cigales... 



vendredi 23 novembre 2018

Côt, Côt, Côt !


C'est en voyant une bouteille de Côt à Côte dans notre étagère à échantillons que je me suis dit "mais pourquoi ne  pas la comparer aux autres Côts de Loire reçus récemment ?" Et ainsi fut fait. Je trouve ça plutôt instructif de mettre côte à côte des Côts qui ont rarement l'occasion d'être dégustés ensemble. Ils ont des poins communs : même cépage, tous en bio. Et des différences : millésimes, sols, climats. Je pense que si je les faisais boire à l'aveugle, je ne suis pas certain que les dégustateurs  trouveraient qu'ils sont tous les trois issus du même cépage tant  leurs expressions sont différentes. Cela me donne d'ailleurs une idée pour un thème d'une prochaine soirée, avec aussi des Auxerrois cadurciens et des Malbecs argentins. À suivre... 



La robe est pourpre sombre translucide. 

Le nez est gourmand, sur la cerise Burlat et la quetsche, avec une touche épicée et une note sanguine/minérale. 

La bouche est ronde, veloutée, fruitée à souhait, vous tapissant agréablement le palais. L'ensemble est frais et bien équilibré. 

La finale a une mâche légèrement astringente, avec un retour tonique du fruit, suivi de notes crayeuses et épicées. 




La robe est grenat sombre translucide. Le nez est vif, mêlant subtilement volatile, fruits rouges, fleurs et épices, sans jamais tomber dans le "nature dérangeant" (ce que j'appelle aussi "le côté obscur de la force"). 

La bouche est longiligne, tendue par cette même volatile, avec une matière souple et fruitée, très fraîche, nuancée par des notes sanguines. 

On retrouve ces dernières en finale, en plus accentuées, renforcées par de l'écorce d'orange, et toujours cette volatile qui semble tracer éternellement. 




La robe est pourpre très sombre, à peine translucide. 

Le nez est très sanguin, puis arrivent le tabac, l'orange, l'humus, les épices douces...

La bouche est ronde, ample, avec une matière qui démarre sur du soyeux pour prendre rapidement  de la densité et du tanin, tout en gardant un fruit noir expressif tonifié par de l'orange sanguine. Un vin qui réussit à allier puissance et digestibilité. 

La finale tannique, mâchue, évoque les cousins de Cahors, tout en gardant une fraîcheur très ligérienne, avec toujours l'orange en ligne directrice qui persiste longuement. 

jeudi 22 novembre 2018

Visite au domaine Tarlant

Photo : champagne Tarlant
Un ami belge tenait à fêter ses 30 ans dans la région viticole la plus célèbre du monde : la Champagne. Il m'a demandé si je connaissais un domaine que notre petit groupe pourrait visiter. J'ai de suite pensé à Tarlant dont j'étais certain que le niveau de qualité plairait à mes amis. Et puis, connaissant Benoît depuis plus de 10 ans, je pouvais compter sur un accueil sur mesure. Nous ne fûmes pas déçus. 


Céline, l'assistante commerciale, nous emmène dans la vigne la plus proche. Elle nous raconte l'histoire de la famille Tarlant qui remonte à 1687. Mais ce n'est qu'en 1780 que Louis Tarlant plante la première vigne à Oeuilly, village où nous nous trouvons maintenant (celle que nous voyons est un peu plus jeune). 


La surface totale du vignoble est de 14 ha divisé en pas moins de 55 parcelles, avec des types de sols très différents les uns des autres. Les vendanges se sont cépage par cépage, parcelle par parcelles. Tout est vinifié et élevé séparément, puis assemblés le printemps suivant pour donner naissance aux différentes cuvées.


Cette micro-parcellisation explique l'usage de petits contenants : évidemment les barriques, utilisées depuis longtemps (2/3 du volume), plus récemment les amphores – de 4 types différents, dont des géorgiennes enterrées dans le sol – et puis des petites cuves inox. 


(photo prise lors d'une visite en 2011)


Et il y en a encore pas mal d'autres...


Amphores en grès


Nous descendons dans les profondeurs de la cave où des bouteilles peuvent vieillir sur lattes plus de 20 ans (nous goûterons un peu plus tard un échantillon de Louis 1996 dont le lot n'est pas encore dégorgé). 


Nous nous trouvons en dessous de la place principale du village.


Une partie du stockage se fait de façon moins romantique. Il faut dire que la quantité globale de bouteilles en cours d'élevage doit  se chiffrer en centaines de milliers de bouteilles, sachant que même  les entrées de gamme du domaine reposent six ans "sur lattes".

Ce long vieillissement permet d'affiner les bulles et d'arrondir les vins. De ce fait, il n'y a plus de dosage nécessaire pour la très grande partie des cuvées. Toutes les bouteilles que nous dégusterons étaient "non dosées. " 


Benoît nous a rejoint : nous pouvons démarrer la dégustation...

Zéro Brut Nature  (2010 et vins de réserve, 1/3 Pinot noir, 1/3 Pinot Meunier et 1/3 Chardonnay, assemblage de plusieurs terroirs : Sparnacien, Craie, Sable et Calcaire) : la robe est dorée. Le nez est expressif et complexe, sur la brioche, les fruits secs, le mousseron. La bouche est vive, tendue, mais enrobée d'une matière ronde et mûre, vineuse, avec des bulles fines et toniques. La finale,  légèrement crayeuse, est intense et persistante. Une entrée de gamme certainement meilleure que les hauts de gamme d'autres producteurs. 

Rosé Zéro Nature (2011 et vins de réserve, 44 % Pinot noir – 36 % en blanc de noir et 8 % en macération  – 50 % Chardonnay, 6 % de meunier en macération) : la robe est "pétale de rose". Le nez, très raffiné, ne ressemble à rien de connu, alliant les fleurs, les fruits rouges et les épices. La bouche est sphérique, très ample, aérienne, avec une belle tension, toute en pureté. La finale, élégante, est dominée par les notes salins. Les bulles étant plutôt discrètes, on a plus l'impression de boire un grand vin blanc qu'une bulle rosée.


Millésime 2004, l'Aérienne (70 % Chardonnay, 30 % Pinot noir - Terroir calcaire - Dispo à la prochaine commande) : la robe est d'un beau doré. Le nez est classieux, sur la noisette, les agrumes confits et le miel. La bouche est fraîche, aérienne, avec une matière fine et élégante qui vous enveloppe le palais. Un vin qui s'imprime fortement en vous alors qu'il semble léger comme une plume – le nom est très bien trouvé. La finale délicate et intense poursuit dans la même veine sans rompre le charme.  Un champagne qui me rappelle Grand Siècle de Laurent Perrier, un vin intense tout en dentelles.

Millésime 2003, la Matinale ( 28% Chardonnay, 45% Pinot Noir, 27% Pinot Meunier - Terroir sous-sols craie et calcaire) : le nez est plus mûr, confit. La matière est plus dense, plus mûre, plus statique aussi. Heureusement, une fine acidité  – ainsi que les bulles – apportent de la fraîcheur et de la tension qui persévèrent en finale.

Millésime 2002, l'Étincelante ( 57% Chardonnay, 29% Pinot Noir et 14% Meunier  - Bientôt dispo ) : le nez est mûr et complexe, sur la noisette grillée, les fruits secs, la pâte d'amande, et rafraîchi par une touche d'agrume. La bouche est éclatante de fraîcheur, avec une acidité traçante et une matière dense et pure, classieuse. L'équilibre est juste magnifique : cela confirme, s'il en était besoin,  que 2002 est le plus grand millésime de ce début de 21ème siècle. La finale prolonge l'émerveillement. J'adore. 



La Vigne d'Or 2003 (100 % Pinot meunier de 65 ans - Terroir Sparnacien) : le nez est mûr et intense, sur la pomme chaude et le pralin. La bouche est raccord, avec une matière concentrée, opulente et  des bulles "crémeuses", plus équilibrée par des nobles amers que par l'acidité. La finale puissante et vineuse est finement oxydative.  On l'imagine parfaitement avec un foie gras ou une pintade rôtie. 


Cuvée Louis ( 50% Chardonnay, 50% Pinot Noir - Base 2000 et 1999-1998-1997-1996  - Terroir de craie) : le nez est très complexe, sur la viennoiserie chaude, les fruits secs, les agrumes confits. La bouche allie grande ampleur et tension, avec une matière dense, onctueuse, et une (ultra) fine acidité traçante. Un vin baroque à l'équilibre parfait. Grande et longue finale. Superbe. 

Cuvée Louis (Base 2002 (60 %) et 2003 (40 %) et 2000 -1999-1998-1997-1996 - Dispo en 2019) :  une version encore plus corsée et intense, avec plus d'onctuosité en bouche, tout en ayant la fraîcheur de 2002. Une cuvée qui s'annonce exceptionnelle. 

Cuvée Louis 1996 ( jamais sortie ... et on ne sait pas quand elle sortira. Sûrement sous un autre nom) : au départ, le nez est réduit car tout juste dégorgée. Après aération, la réduction disparaît, laissant place aux fruits secs grillés et aux fruit blancs rôtis. La bouche est d'une concentration et d'un intensité incroyables, avec acidité très "lame d'acier". Finale immense. Hénaurme vin. J'en réserve déjà quelques unes  pour le jour où il sortira ;-)


Nan, ça ne se mange pas....


Merci à Benoît Tarlant pour cette très belle matinée !

mercredi 21 novembre 2018

I've really got the blouge


Le Blouge,  ça pourrait être une autre façon d'appeler un vin blanc qui est vinifié comme un rouge. En tout cas, voilà pourquoi cette cuvée de la Grange aux Belles s'appelle I've got the blouge. Alors que les 2015 et 2016 étaient issues du Sauvignon, on change de cépages en 2017 :  place au Chardonnay (80 %) et au Chenin (20 %). Qu'est-ce que ça change ? Je dirais un vin moins abrupt, plus abordable. Probablement parce que les deux nouveaux cépages sont naturellement moins expressifs que le King of Sancerre. Il n'y a donc pas de conflit entre les arômes inhérents aux cépages et ceux induits par la macération des pellicules des raisins – enfin, c'est une hypothèse, hein. C'est de suite harmonieux, plus typé "orange" que Chardonnay ou Chenin (introuvables à l'aveugle, à mon avis). 

Par contre, comme tout vin orange, un carafage est conseillé pour qu'il s'ouvre, et plus important encore, il faut le boire à température d'un vin rouge (15 °) car bu plus froid, les tanins et l'acidité ressortent. 

La  robe est d'un or intense, très légèrement trouble.  

Le nez est fin, subtil, sur l'écorce d'orange séchée et le pain d'épices. 

La bouche est ronde, ample, déployant une matière dense et moelleuse – tout  en étant bien sèche et plus encore, très fraîche. À condition de le boire à la température indiquée (14-15 °C), le vin fait preuve d'un bel équilibre, dans un style plutôt aérien même s'il n'est pas avare en saveurs et sensations. 

En finale, l'aspect "macération" ressort avec une mâche affirmée, avec le retour de l'écorce d'orange, une noble amertume rappelant les bitters italiens, le tout prolongé par des épices et des notes salines /crayeuses bien marquées. 

Un vin qui me semble très recommandable pour une initiation en douceur aux vins oranges.


mardi 20 novembre 2018

Extra Libre ou Extra Libre, le retour !


En octobre 2017, j'avais confronté Le Cèdre Extra Libre 2015 avec le Château du Cèdre Extra Libre 2016. Nous retrouvons un an plus tard les même cuvées, avec un décalage des millésimes, à savoir  Le Cèdre Extra Libre 2016 avec le Château du Cèdre Extra Libre 2017.

Lorsqu'on les déguste, on finirait par l'oublier, mais les deux cuvées sont sans sulfites ajoutés. Lorsqu'on voit le niveau de pureté et de précision, on se dit que d'autres producteurs ont encore du boulot devant eux...




La robe est pourpre très sombre, à la limite de l'opacité.

Le nez est des plus tentateurs, sur la crème de mûre relevée d'épices et d'une pointe de benjoin. La bouche est à la fois ample et élancée, avec une matière  dense et veloutée, charnelle, et une tension qui étire et allège le vin. Le fruit noir est et la fraîcheur sont omniprésents.

La finale possède une mâche gourmande, avec toujours cette crème de  mûre savoureuse, une touche crayeuse rappelant le terroir d'origine, et une belle persistance sur le poivre blanc et les épices douces. 




La robe est encore plus sombre : on dirait vraiment de l'encre.

Au nez, ouf, ça ne sent pas l'encre : est-ce l'effet millésime ou la vinif de la cuvée, mais il y a plus de finesse et de fraîcheur que le vin précédent. On est plus sur de la cerise noire, la myrtille, des notes sanguines, tout en gardant les épices. Et puis une touche de cèdre (c'est peut-être psychologique ...)

La bouche est plus élancée et tendue que le Château 2017, plus racée, on va dire. La matière paraît plus fine, tout en ayant plus de fond et d'assise. On est plus sur le séveux que le velouté. Et il y a du minéral, dirait l'autre. On lèche le caillou. Le premier est une friandise. Là, c'est du vin. 

La finale est un peu plus serrée – c'est encore un bébé – mais là encore, l'intensité et la minéralité montent d'un cran, voire de plusieurs. Vous vous en prenez plein la poire, avec l'impression que le vin explose en bouche, triplant de volume. Ou quadruplant, difficile à mesurer. En tout cas, l'impression finale – jouissive, il faut le reconnaître – est d'avoir un vin très ample et très aérien,  semblant n'avoir aucune limite (et certainement pas votre paroi buccale). Futur grand vin ? 



lundi 19 novembre 2018

Crozes les 4 vents : classe et gourmandise !


Je vous ai parlé il y a peu des Pitchounettes, le "petit" Crozes  produit par deux sœurs : Nancy et Lucie. J'avais écrit alors que je serais curieux de goûter les cuvées supérieures   En voici déjà une,  portant en toute simplicité le nom du domaine : Les 4 Vents. Elle est du millésime 2016, ce qui n'est pas pour me déplaire : les équilibres sont très réussis, avec une maturité tout en finesse. Et ce n'est pas cette cuvée qui me fera changer d'avis ! 

La robe est grenat très sombre, mais translucide.

Le nez est superbe, plus proche d'un parfum que d'un vin, sur la crème de fruits noirs, l'encens, le bois précieux.

La bouche est très ample, enveloppante, avec une matière (dense et ) soyeuse  qui vous envahit la palais. L'ensemble est frais, profond, très bien équilibré, réussissant à être à la fois classieux et gourmand.

La finale est savoureuse, finement mâchue, avec un retour sur la crème de fruits noirs, mais aussi des notes de lard fumé/poivré et une pointe de violette. Puis viennent les épices et une touche saline. Du nez jusqu'aux dernières sensations en bouche, on est vraiment sur du bel ouvrage ! Rien à redire donc pour le prix : 18.50 €.



samedi 17 novembre 2018

Idée cadeau :coffret calendrier de l'Avent (ou d'après)


Un cadeau original qui permet de découvrir 24 cuvées du catalogue Vins Etonnants format Vinottes 2cl en rouge, blanc, liquoreux, françaises et étrangères. 

Privilégiez plutôt un petit verre INAO pour les déguster. 

vendredi 16 novembre 2018

Visite au domaine de l'Enclos



J'étais jeudi et vendredi dernier à Reims pour préparer ce repas. J'en ai profité pour rendre visite à Benoit Tarlant. Et en redescendant, je suis passé par Chablis pour visiter le Domaine de l'Enclos que nous avons référencé tout récemment. 

En fait, nous avions déjà travaillé antérieurement avec le Domaine Romain Bouchard  sur les millésimes 2013 et 2014 (6 hectares en bio) avant que le domaine familial ne soit vendu à Albert Bichot. Celui-ci a racheté avant tout la marque et les stocks. Mais Romain et son frère Damien ont réussi à conserver une grande partie des vignes :  le domaine de l'Enclos qui rassemble le tout fait aujourd'hui 29 hectares (les 6 de Romain déjà en bio + 23 en conversion depuis 2015). 


Dès que je suis  arrivé le samedi à 14h00, Romain m'a emmené dans sa fourgonnette pour une longue visite des parcelles (1h30). Connaissant très peu Chablis, ce fut absolument passionnant, même si le temps gris/pluvieux n'a pas permis de sortir de la voiture et de prendre beaucoup de photos.

Celle du dessus montre les vignes située en appellation Petit Chablis, avec une vue sur Fourchaume.  Cela permet de constater que même les moins qualitatives du domaine ne sont pas bodybuildées aux engrais : les bois sont très fins et les rendements très raisonnables. 



Le chai nouvellement construit  a été inauguré avec les vendanges 2016. L'avantage de partir de zéro est de le faire exactement comme vous en aviez rêvé : pas moins de trois pressoirs alimentés par des tapis convoyeurs. Cela permet de traiter plusieurs lots de raisins dans un laps de temps très court sans que ceux-ci ne doivent attendre son tour (les 29 ha sont vendangés en une dizaine de jours). Le pressurage est très doux, donnant des jus clairs qui s'écoulent via des drains verticaux. 


Puis ils descendent par gravité dans les cuves inox situées à l'étage inférieur. 


Le jus arrive par partie basse de la cuve afin de limiter brassage et oxydation. 


En fin de fermentation, une partie des vins des 1ers et Grands Crus est entonnée dans des demi-muids de 500 l pour démarrer l'élevage. La fermentation malolactique est ici systématique, même sur le Petit Chablis.

Toute la climatisation du chai et de la maison est assurée par la géothermie. De l'eau à 14 °C est puisée à 30 m de profondeur, puis restituée à la même température. 


Nous passons à la dégustation :

Petit Chablis 2017 (dans la prochaine commande - il sera à 13 € ) : la robe est jaune paille. Le nez évoque le beurre chaud légèrement citronné, avec une touche de craie en arrière-plan. La bouche est avant tout fraîche et éclatante, pour gagner ensuite en rondeur croquante. La langue est titillée par un léger filet de gaz carbonique très agréable. La finale a une mâche fine et crayeuse, légèrement citronnée. Quelle belle entrée de gamme !

Chablis 2017 (18 €) :  le nez est plutôt plus discret, même si l'on retrouve les même marqueurs aromatique. Pour l'instant, c'est la craie qui l'emporte sur le beurre et le citron. La bouche est élancée, avec une matière ronde et dense, élégante, qui vous emmène plus en Côtes de Beaune qu'à Chablis. La finale démarre par un  léger gras qui pourrait faire croire à une fin molle. Mais une demi-seconde plus tard, une astringence très pomelo arrive à la rescousse, apportant le peps nécessaire, mais aussi un côté salivant très agréable, avec une belle persistance sur le citron (là, on est à Chablis)

Chablis 1er Cru Beauroy 2016 (24.00 €) : le nez est plus expressif, mêlant le minéral (cailloux, craie) à la pomme rôtie au beurre. La bouche est ample, aérienne, avec une superbe acidité ciselée, toute en filigrane, qui étire élégamment le vin et trace jusqu'en finale. On retrouve une mâche crayeuse, mais avec plus de noblesse et d'intensité que les vins précédents. 

Chablis Vau de Vey 1er Cru 2016 (24.00 €) : le nez est plus minéral que Beauroy, très marqué par le "caillou chaud". La bouche gagne encore en ampleur, mais surtout en densité et en gras. Un fin perlant apporte  ce qu'il faut de peps (en fait, Romain me dit que sur le papier, Vau de Vey est plus acide que Beauroy, mais que la matière est tellement dense qu'on ne le perçoit pas). La finale est proche de Beauroy, mais dans un style plus rond, et un beurré/citronné un peu plus marqué.

La Fourchaume 1er Cru 2016 (32.00 €) : le nez est marqué par l'agrume confit et des notes terpéniques. A l'aveugle, on pourrait partir en Alsace. La bouche est longiligne, évoquant une lame d'acier qui vous inonde de fraîcheur. Immersion totale. La finale poursuit dans la même dynamique, avec plus d'intensité et de persistance que les deux 1ers crus précédents. 

Hélas, je m'arrête là : les bouteilles de Grand Cru sont trop rares pour être dégustées....  

Merci à Romain pour son accueil !