jeudi 7 novembre 2013

Madérisé... ce n'est pas un défaut !


Lorsque j'étais enfant, un adjectif revenait assez régulièrement pour définir un vin qui était passé de vie à trépas : "madérisé". Une fois qu'on avait dit ça, il n'y avait rien à rajouter. Zou, direct à l'évier ou dans le vinaigrier. A la même époque, Ginette Mathiot et Françoise Bernard régnaient dans les cuisines françaises, et le Madère était alors le compagnon indispensable des rognons et du jambon cuit. Vous savez, ce Madère que l'on achète en petite flasque pour trois francs six sous, et dont on sert deux fois par an pour un fond de sauce, parce que bu comme ça, bof...

Et puis un jour, on découvre le Madère, le VRAI. Et l'on se rend compte que ça ne ressemble pas plus à un vieux Bordeaux fatigué qu'à la petite flasque signée Cruz. Concevoir un bon Madère, c'est un vrai métier qui ne s'improvise pas. Déjà choisir le cépage qui corresponde au Madère que l'on souhaite obtenir. Pour un doux, le Malvasia (ou Malmsey) convient mieux, pour un sec, c'est plutôt le Sercial. Lors de la fermentation alcoolique, il faut choisir le meilleur moment pour l'arrêter net en mutant le moût à l'alcool. A une journée près, l'équilibre sera totalement différent. Et puis suit un long élevage. Cinq ans paraît le minimum pour avoir un Madère qui tienne la route. Durant les deux premières années, les barriques scellées vont être stockées dans des greniers où une chaleur intense règne la journée (alors que les nuits sont bien fraîches). Les années suivantes, elles seront stockées dans des pièces plus tempérées pour poursuivre leur vieillissement.



Autant dire que le résultat final ne s'apparente pas du tout à un vin trop vieux, et que le terme "madérisé" est tout ce qu'il y a d'impropre. La madérisation est un processus long et noble qui permet d'obtenir des petites merveilles en fin d'élevage.

Celui que je suis en train de boire, par exemple. C'est un Sercial 5 ans de la maison Blandy's.

La robe est entre le cuivre et le vermeil.

Le nez évoque le pralin, le toffee, le café, les épices de Noël.

Alors que l'on s'attend plutôt à boire un vin moelleux, on ne peut qu'être surpris  par l'attaque vive, limite tranchante, suivie d'une vague de "douceur sèche", avec toujours cette grande tension et un palais envahi de saveurs (amande grillée, safran, café).

On ne peut pas dire que ça se conclut en douceur. Vous avez plutôt l'impression de prendre une grosse claque. Mais le genre de claque pour laquelle vous tendez l'autre joue avec avidité. C'est mordant, intense, presque violent. Mais p... qu'est-ce que c'est bon ! Vous savez : cette sublime impression que le temps s'arrête et que le bonheur, c'est ici et maintenant. Il se prolonge sur des notes grillées/épicées/torréfiées... et même fumées, comme si vous veniez de fumer un cigare. Un vrai voyage sensoriel !


Ce vin n'est plus suivi pour le moment car nous lui avons préféré le Sercial 5 ans de Barbeito, d'une qualité équivalente mais à prix plus doux (moins de 20€ la bouteille de 75cl).

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