J'ai eu le rare privilège de boire des cuvées parcellaires dans les plus grands GCC bordelais (Lafite, Margaux, Ausone, Latour ... et une trentaine d'autres) avant leur assemblage et leur long élevage en barriques. Une période trop brève où le vin exprime le terroir avec une grande pureté sans être pris dans la gangue de bois qu'il mettra des années à digérer. J'ai alors souvent dit au maître de chai : "ça, vous devriez le mettre en bouteille, c'est génial !"
Même s'il y a un retour en arrière sur le "boisage" des vins, presque personne n'ose se passer de barriques, tant elle fait partie du "pack prestige". Certains vont me répondre Bel Air Marquis d'Aligre. Oui, je sais. Mais je parlais de vins avec une approche plus "moderne", on va dire (plus de couleur, de matière, de fruits...). Même Pontet-Canet s'interdit pour l'instant de faire une croix sur les fûts de chêne.
Il est également très rare de n'utiliser que du cabernet en Bordelais, y compris dans le Médoc. Lafite s'y est essayé sur quelques millésimes, mais cela relevait sans doute plus de la nécessité que de l'envie.
Bref, je me demandais si un jour je pourrais boire un grand cabernet bordelais non boisé ???
Eh bien Michel Théron du Clos de Jaugueyron a réalisé mon rêve :
d'une part, il s'est lancé dans un assemblage jamais vu dans le Médoc : 75% cabernet sauvignon et 25% cabernet franc. Issus, s'il vous plait, d'une groupe graveleuse de l'appellation Margaux.
D'autre part, cette Cuvée Perrain 2014 n'a JAMAIS rencontré une douelle de bois, que ce soit durant sa fermentation puis son élevage de 3 ans.
Et ça donne quoi ? Il suffit de lire la suite pour le savoir ;-)
La robe est grenat très sombre, à peine translucide.
Le nez est très sobre, mais classieux : fruits noirs (mûre, cassis), cigare et graphite, dégageant une impression de fraîcheur (petite pointe mentholée).
La bouche allie ampleur et tension, déployant avec énergie une matière finement veloutée et exprimant un fruit frais, éclatant, rarement rencontré dans la région. L'ensemble est étonnamment aérien et digeste, même si l'on pressent qu'il y a en arrière-plan une matière plus dense et profonde qu'il n'y paraît.
La finale prolonge l'élan, tout en gagnant en mâche. Elle est dominée par les fruits noirs légèrement épicés. Une partie de notre cerveau cherche désespérément les notes grillées apportées par le chêne. En vain. La mûre et la cerise noire ont le dernier mot, avec une touche poudreuse de cacao.
S'il pourra déjà procurer beaucoup de plaisir sur une côte de boeuf bien persillée, ce vin gardera à être attendu au moins 5 ans pour délivrer toute sa complexité.
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