vendredi 30 novembre 2018

Le "jugement de Limoges" ou Bordeaux Vs le reste du monde


Lors de la rencontre précédente du club "Vins étonnants", nous avions évoqué de faire une soirée Bordeaux. C'est vrai que, l'air de rien, les amateurs ont tendance à éviter cette région viticole car il y a a tellement d'autres choses à découvrir. Et puis je me suis dit qu'il serait plus intéressant de confronter à l'aveugle chaque vin bordelais à un challenger d'une autre région, qu'elle soit française ou étrangère. Alors, bon, pour chaque paire, j'ai fait avec les vins que j'avais à ma disposition dans l'entrepôt, en essayant d'avoir une confrontation équilibrée. D'une façon générale, les outsiders étaient un brin plus chers que les Bordeaux (à 1-2 € près). Que la confrontation commence !


Nous démarrons avec une paire de vins blancs, très différents l'un de l'autre : à ma gauche, le Sauvignon by Beynat 2017, un Bordeaux blanc 100 % Sauvignon. À ma droite, un Bergerac blanc Ulma 2017 de Tirecul la Gravière, composée de sémillon, muscadelle ... et de Chenin (ça, je ne l'ai pas indiqué, car ça aurait mis la puce à l'oreille de mes dégustateurs). Le Sauvignon sauvignonne comme il se doit, heureusement plus sur le bourgeon de cassis et le pomelo que sur le buis et le pipi de chat. Un vin frais, plutôt énergique, bien équilibré, qui va bien avec les rillettes de carrelet. Le Bergerac a un nez plus original, sur les fleurs blanches, le miel, la poire, une bouche plus ronde, moins tendue, et une finale est plus crayeuse (sols très calcaires). Il est un peu écrasé par les rillettes. Un carpaccio de Saint-Jacques lui conviendrait mieux. 

On me demande s'il y a un piège. Je fais l'erreur de répondre non. Du coup, une majorité répond sans hésiter que c'est le Sauvignon le bordelais. Il faut dire que Ulma ne ressemble pas du tout à un Bordeaux. Fallait bien démarrer facile ;-)

D'une façon générale, Ulma a été préférée par les dégustateurs, même s'ils ont bien aimé le Sauvignon qui réussit à ne pas tomber dans la caricature. 


Pour la deuxième confrontation, j'avais choisi deux vins légers, non boisés, qui ne ressemblaient pas du tout à des Bordeaux.  Ce qui rendait plus difficile de savoir  lequel était bordelais. À ma gauche, donc un Aglagla by Beynat 2017, une macération carbonique de raisins provenant de vignes qui avaient gelé au printemps (avec une peau insuffisamment mûre pour être vinifié classiquement). À ma droite, Pretty Good 2015 de Tillia Estate, un 100 % Cabernet Franc de Croatie. Le Bordeaux a un faux vrai air de Beaujolais avec une bouche ronde, légèrement pulpeuse, au fruit primaire, un peu floral. Le Croate poivronne pour certains (je le trouve plus feuille de cassis, perso), avec une bouche beaucoup plus vive, une matière plus fine, une finale plus tonique, un peu végétale.  Une majorité le place en Loire. Et donc par déduction, place l'Aglagla à Bordeaux  ... tout en ayant du mal à croire que ça en est un ! Evidemment, grosse surprise lorsque j'annonce que son challenger était croate !

À noter que les deux vins étaient beaucoup plus plaisants avec la terrine (faut dire que ce sont des vins de casse-croûte). Cette dernière apportait le peps qui manquait au Beynat. 


On arrive maintenant aux choses sérieuses avec des vins d'un autre niveau : à ma gauche, Hécate 2015 du Ch. Barouillet (Merlot, Cabernet Sauvignon, Cabernet Franc). À ma droite le Haut-Médoc 2015 du Clos du Jaugueyron (Cabernet Sauvignon, Merlot, Petit Verdot). Le Pécharmant se montre plus complexe au nez comme en bouche : vous en prenez plein les papilles. Le Haut-Médoc est plus sérieux, plus droit. Il ne cherche pas à faire son intéressant, mais on sent qu'il a un très beau potentiel : lorsque le Cabernet Sauvignon va commencer basculer sur le tertiaire, il sera superbe. Avec la tranche de rumsteck, on le sent bien dans son élément. Je ne sais pas si les dégustateurs se sont dits inconsciemment que le plus séduisant était forcément le Bordeaux, mais une bonne partie croit que c'est l'Hécate. Per-du !  Ils vont pouvoir se refaire avec la paire suivante... 


Dernière paire de rouges sur les fromages, avec cette fois-ci, deux vins à majorité Merlot. Le premier, Chloé 2015 de JL Denois (Limoux) est même un monocépage. Son adversaire, un Pavillon de Saint-Jacques 2015 (Lalande de Pomerol) a un assemblage 75% Merlot, 20% Cabernet franc, 5% Cabernet sauvignon. Cette fois-ci, c'est le non-bordelais qui se la joue "sérieux", avec une matière dense, profonde, et une puissante mâche calcaire finale. Alors que le Bordeaux, issu de terroirs argilo-graveleux, a une bouche plus souple, un nez plus séducteur, intégrant avec doigté les notes d'élevage en fûts.  Gros doute dans l'assistance. Car si l'on prend la logique précédente, le premier serait bordelais... Mais tout de même,  le second ressemble sacrément à ce que l'on attend d'un vin de Bordeaux. Après réflexion, une majorité penche pour Lalande. Bravo ! Par contre, pas grand monde imaginait que le challenger venait de Limoux.... 


Nous terminons avec deux liquoreux sur un crumble aux pommes : à ma gauche un Monbazar 2017 de Barouillet, un Monbazillac sans AOC pour cause de degré trop faible (11 %) et de Chenin trop présent (50 % !!!), et sans sulfites ajoutés. À ma gauche un Palais d'Or 2015 de Bouillerot (Côtes de Bordeaux Saint-Macaire) issu de très vieilles vignes de Sémillon. Le premier sent le coing confit et l'écorce d'orange confite. Sa bouche est dense, onctueuse, avec une grande sensation de fraîcheur, et très peu d'alcool ressenti (et pour cause).Un très joli vin. Le second a un nez plus abricoté /vanillé, avec également de l'orange confite. La bouche est plus fine, un peu plus élancée, mais moins fraîche : on ressent plus l'alcool. Bu seul, je pense qu'il aurait été bien apprécié, mais il souffre un peu de la comparaison. 

Vu le nez "cognassié" du premier, il est facile de le repérer comme intrus. Par contre, lorsque j'ai demandé quelle était l'appellation du Bordeaux, ça a patiné pas mal, mais Yves a finit par trouver Saint-Macaire : félicitations !

Contrairement à ce que le titre pouvait laisser entendre, il n'y a bien sûr aucune leçon à tirer de cette confrontation, si ce n'est peut-être que les appellations "hors-Bordeaux" n'ont rien à envier à ce qui fut longtemps un modèle pour la viticulture mondiale. En tout cas, cette première dégustation a beaucoup plu : cela donne envie de recommencer sur d'autres thèmes. Le Malbec, par exemple ? 

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