dimanche 24 février 2013

Levures : indigènes ou exogènes ?


Le journaliste David Cobbold a écrit la semaine dernière un article très intéressant sur les levures que je vous engage vraiment à lire, car il tord le coup sur pas mal d'idées reçues à ce sujet. 

Je ne vais pas réécrire la même chose en changeant juste quelques mots, je n'en vois pas l'intérêt. Je vais juste ajouter quelques exemples pour bien faire comprendre la problématique. 

Lorsque vous achetez votre pain chez le boulanger (ou une viennoiserie), la plupart d'entre vous ne se pose pas vraiment le problème de savoir s'il a utilisé de la levure (99 % des cas) ou s'il a préparé son propre levain. Et pourtant, c'est exactement pareil avec le vigneron, d'autant que l'on parle de la même levure : saccharomyces cerevisiae. Dans les deux cas, le boulanger et le vigneron font appel à une levure sélectionnée afin d'être sûr d'avoir un résultat constant. Tout simplement parce que le boulanger ne peut pas se permettre d'avoir des pains qui ne lèvent pas, et le vigneron des vins qui partent en vrille. Avec tout de même un plus grand risque pour ce dernier : si le boulanger rate sa fournée, il peut recommencer dans l'heure qui suit. Le vigneron doit, lui, attendre un an avant de recommencer...


Vous même, lorsque vous faites une pâte à pizza à la maison (ou une brioche), il est peu probable que vous mélangiez de la farine et de l'eau dans un saladier, et attendiez 3 jours que ça commence à fermenter. Alors qu'il suffit de mettre un peu de levure de boulanger, et votre pâte est prête à l'emploi en deux heures. 

Ajoutons que si un boulanger classique (ou votre Carrefour) vous propose un pain au levain, vous pouvez être certain que sa levée a été grandement facilitée par les levures qui colonisent le local. C'est donc pas du vrai ;-) Si vous voulez acheter du "pain indigène", il faut aller chez un boulanger qui fait exclusivement des pains au levain. Vous constaterez qu'il est en général moins aéré que les "faux".


Par ailleurs, lorsque j'ai co-écrit mon livre sur les Crus Classés du Médoc, j'ai fait de nombreuses dégustations parcellaires. À part Pontet-Canet, tous utilisaient des levures sélectionnées dites "neutres" (qui n'amplifient par les caractéristiques aromatiques de certaines molécules). Nous avions en général une sélection de 6 à 10 parcelles différentes, vinifiées au même endroit avec la même levure. Nous ne pouvions que constater que les vins étaient tous très différents les uns des autres, avec des caractéristiques propres à chaque sol (sables, graves, argiles, calcaire...). Il est donc faux de généraliser en disant que les levures exogènes standardisent les vins, même si ça peut effectivement être le cas avec des levures dites "aromatiques". 


Ceci dit, je comprends parfaitement qu'un vigneron ne veuille mettre dans sa cuve que les raisins qu'il a produits, et rien d'autre (pas de sulfites non plus). Le résultat peut être superbe. Ou pas. Après, c'est souvent une question de tolérance sur des petits défauts qui peuvent devenir des qualités aux yeux de certains (volatile, bretts, légère oxydation). Ce qui me dérange un peu, c'est lorsqu'il est avancé qu'ils viennent du terroir...

Dans les vins que nous proposons à Vins Étonnants, une grande majorité est vinifiée avec des levures indigènes, mais nous sommes scrupuleux sur la netteté des cuvées que nous sélectionnons. Toutes les semaines, nous dégustons des vins pour décider de leur référencement. Pas mal passent à la trappe, car ils nous semblent du côté obscur de la force. 

Et puis, nous ne sommes pas sectaires : nous proposons aussi des vins, bio ou non, qui sont vinifiés avec des levures exogènes. S'ils sont très bons, ou étonnants, et tant qu'à faire, issus d'une agriculture respectueuse de l'environnement, pourquoi se priver ?

Finissons par un paradoxe intéressant : il existe des levures indigènes qui produisent naturellement des sulfites, tandis qu'il existe des levures exogènes qui en consomment. Il peut donc arriver qu'un vin sans SO2 ajouté puisse contenir plus de sulfites qu'un vin avec SO2 ajouté. Étonnant, non ?


"Mouais, pas assez bons pour Vins Étonnants..."

(photo prise ICI)



3 commentaires:

  1. Bravo pour ce très bon article qui remet les idées en place !

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  2. Je cite : "Vous même, lorsque vous faites une pâte à pizza à la maison (ou une brioche), il est peu probable que vous mélangiez de la farine et de l'eau dans un saladier, et attendiez 3 jours que ça commence à fermenter. Alors qu'il suffit de mettre un peu de levure de boulanger, et votre pâte est prête à l'emploi en deux heures"
    En quoi cela revêt-il une obligation pour le boulanger (ou le viticulteur) d'effectuer un travail qui prend forme sur le long terme ? L'utilisation de levures peut, selon les années, s'avérer complexe à gérer. Et, en effet, la thermovinification ET le levure peuvent donner une quantité de travail non-négligeable. Alors, pourquoi le viticulteur ne pourrait pas faire le choix de se simplifier la vie et de choisir des levures indigènes pour le plaisir de laisser faire la nature ?
    On a vinifié pendant des milliers d'années sans levure exogène. Nous ne savons rien de la qualité réelle et du goût des vins d'alors. Peut-être étaient-ils simplement meilleurs que ce que nous produisons...

    Faut-il rappeler que le marché de la levure (Lallemand en tête) est un gros marché... Si les vinificateurs choisissaient de se passer de levurage, cela entraînerait la perte de plusieurs milliers d'emplois. La pression de ce type de sociétés sur les "bonnes" ou "mauvaises" méthodes n'est sans doute pas nulle, quant à la façon dont les médias, oenologues, etc voient la vinification...

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    1. Il faut savoir que 30% au moins des levures indigènes produisent plus de sulfites que les levures sélectionnés ...et sachons que certaines souches indigéne donnet des vins pouvant contenir jusqu'à 60 mg/l de SO2 total et même plus ! Les vins san sulfites n'existent pas... Pauvre de nous !

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