Le domaine a été en 1889 par Jean-Baptiste Laherte. L'essentiel des vignes se trouve alors à Chavot où j'ai rendez-vous ce jour avec Aurélien, réprésentant de la septième génération. Entre temps, la superficie du vignoble s'est agrandie pour arriver maintenant à 10,5 ha répartis sur plusieurs secteurs :
- pour majeure partie les Coteaux sud d’Épernay : Chavot, Epernay, Vaudancourt, Moussy, Mancy et Morangis plantés avec les 3 cépages
- la Côte des blancs avec les crus de Vertus et Voipreux en Chardonnay 1er Cru
- la vallée de la Marne avec les crus de Le Breuil et Boursault en Pinot meunier.
En tout 75 parcelles dans 10 crus Champenois, qui offre une large palette pour interpréter le terroir de multiples façons.
Lors de ma venue à Chavot en octobre dernier, j'ai eu la bonne idée d'enregistrer les propos d'Aurélien. C'est donc ceux-ci que je retranscris, car je ne vois pas l'intérêt de les réécrire à ma façon..
"Les coteaux sud d’Epernay sont en sandwich entre la Côte des Blancs et la Vallée de la Marne. Il y a les argiles pour le Pinot Meunier, et calcaire de la Côte des Blancs pour le Chardonnay. Il y a des mamelons de craie ici – ici nous sommes sur les Crayères, en mi-côte où il n’y a que 20 cm de sol. De l’autre côté, nous avons les Crayons où il y a 25 cm de sol."
"Là, nous sommes sur le coteau sud d’Epernay. Juste en face, nous voyons Hautvillers et Cumières. De l'autre côté d'Epernay, il y a Aÿ et Dizy. Plus loin, il y a la Montagne de Reims. Derrière nous, commence le début de la vallée de la Marne avec Pierry, Moussy, Vinay…
A Chavot, nous sommes à moitié/moitié en terme d'encépagement. En mi-côte, comme ici, la structure du sol est idéale pour le Chardonnay (20 cm de terre sur de la craie). Elle demande peur d’efforts pour produire du bon raisin. Plus nous montons sur les hauteurs, plus nous serons sur les argiles dures, des silex et des argiles dures. Là, ce sera plus adapté au Pinot Meunier."
"Les Champenois ont planté le Pinot Meunier aux endroits où le Pinot noir et le Chardonnay ne convenaient pas. Autant dire que ce cépage part souvent avec un bel handicap. Après, beaucoup disent que le Meunier n’est pas forcément génial… C’est plutôt le terroir qui ne l’est pas.
Avant les années 60-70, la limite de l’appellation, c’était le milieu de coteau au niveau du Château de la Marqueterie de Taittinger. Avec les progrès techniques, les vignerons ont réussi à gagner sur les hauteurs. Lorsque vous arrivez vers les bois, c’est plus difficile à travailler et pas très qualitatif. Ceci dit, nous en avons une parcelle de ce type : depuis que nous avons changé de méthodes de travail, elle est devenue l’une de nos meilleures. L’exposition est nickel, la structure du sol parfaite. Par contre, qui dit argile, dit humidité car elle retient 50 % de poids en eau. Il faut raccourcir les tailles pour avoir des raisins plus concentrés, sans tomber dans l’excès de matière.
Les meilleures progressions ne vont pas s’observer sur des parcelles comme les Crayères, car c’est déjà un bon terroir à la base. Alors qu'avec les parcelles du haut, les voisins produisent souvent des choses affreuses, alors que nous en tirons de belles choses.
Il faut raisonner à la parcelle. Voir la nutrition dont elle a besoin, la vigueur des bois, quel système de taille, qu’est-ce que l’on va faire comme labour, qu’est-ce qui va pousser, la hauteur de la végétation. Les vignes de nos voisins sont à 1,20 m de hauteur. Nos vignes à 1,40 m. Ce n’est pas grand chose, mais c’est 20 cm d’éléments nutritifs en plus. Les parcelles qui ont encore à cette saison les feuilles vert foncé, c’est parce qu'elles ont été très azotées, alors que les nôtres commencent à jaunir. A cette saison, nous pouvons repérer de loin nos parcelles. Nous avons beaucoup moins de botrytis.
Nous ne travaillons pas pareil en Vallée de la Marne, sur la Côte des Blancs ou ici. Et même ici, entre les mi-côtes et les hauteurs, il faut s’adapter. C’est sûr que cela complique le travail, mais ça fait toute la différence. À cela s’ajoute le facteur millésime. Cette année, la sécheresse était impressionnante. Là, nous avons fait un joli labour, et nous n’y avons plus touché. Plus rien ne poussait. Nous avons moins retiré d’entre-cœurs : il fallait prendre en compte l’évapotranspiration de la feuille. Alors qu’en Champagne, on a souvent l’habitude de bien aérer, car nous avons pas mal d’humidité. Cette année a été vraiment instructive : nous avons appris beaucoup de choses.
Cette année, nous avons commencé à vendanger le 10 septembre et tout fait en 10 jours. Nos baies sont plus allongées et moins compactes que nos voisins."
"Nous avons deux pressoirs hydrauliques en bois traditionnels de 4 tonnes, contrôlés par une console électronique - le meilleur des deux mondes. C’est pratique, parce qu’il y a toujours un pressoir de prêt : comme nous avons deux trois équipes de vendangeurs, cela permet de s’occuper des raisins de suite. Car à l'instant où ils sont coupés, l’oxydation commence. Pressurer rapidement permet donc de préserver le fruit et la fraîcheur. Les raisins sont étalés sur une grande surface, ce qui permet de presser tout en douceur."
"Les raisins sont amenés en caisses. Nous les basculons gentiment. Nous obtenons des jus super clairs, avec un pH très bas, qui s’écoulent par gravité.
Après un premier pressurage,, nous pratiquons la retrousse : avec une grande fourche, nous reprenons les raisins du dessus pour les ramener au centre, histoire d’avoir une homogénéité."
Là j'ai repris wikipedia : "Le pressurage, effectué sur des pressoirs traditionnels ou pneumatiques, spécifiques, doit respecter l'extraction de 25,50 hl de jus débourbé pour 4 000 kg de raisin pressurés. Le champagne est en effet un vin blanc issu en majeure partie d'un raisin noir — le pinot — et il convient pour cela que le jus, incolore, ne soit pas coloré ou taché au contact de l'extérieur de la peau. Les premiers jus (20,50 hl), appelés « cuvée », sont le plus souvent vinifiés à part et donnent des vins de qualité supérieure aux seconds jus ou « tailles » (5 hl). Les jus suivants ou « rebêches » (entre 1 % et 4 % du volume), ne peuvent prétendre à l'appellation et doivent être expédiés en distillerie."
Aurélien : "Les cuves sont thermorégulées depuis peu. D’autres sont plus destinées aux FML parce que le lieu et les cuves peuvent être chauffés.
Les foudres sont intéressants pour l’Ultradition et l’Extra Brut pour leur apport en oxygène, et un travail des lies intéressant.
"Le travail adapté aux différentes parcelles se retrouve aussi au chai : nous ne vinifions pas de la même manière un Chardonnay sur craie de 50 ans et un Chardonnay sur argile de 5 ans. Le but est donc de trouver le bon contenu avec le bon contenant. "
Cuves inox
"Un pressoir remplit une dizaine de barriques. C’est intéressant de déguster les différents lots en octobre, car nous sentons déjà leur potentiel.
Les vins de taille ont le même rôle qu’un vin de presse : ils apportent de la puissance à l'assemblage. Il est important de les travailler le mieux possible. Nous allons apporter à cette taille de Meunier des lies de blanc pour l’enrichir et en faire quelque chose d’intéressant. Avant, mon père vendait ce type de vin au négoce car il n’en était pas satisfait qualitativement. Avec le changement de viticulture et des vinifications plus naturelles et pointues, la qualité des vins s’en ressent.
Les vins de réserve ne doivent pas être des tocards : il faut qu’ils tiennent la route. Nous en ajoutons dans le Brut Ultradition et le rosé. Ils ont été élevés en barriques, puis soutirés au mois d’août. Ils sont maintenant sur lies fines en cuve depuis deux mois."
Je goûte : rond, dense, vineux, belle aromatique, très sympa. Ca ferait un beau vin blanc !
"Au printemps, avec le changement de saison, il y a un gros travail au chai : soutirage, assemblage, prise de mousse. Cela se fait essentiellement sur l’autre site. Cela fait pas mal de choses à transférer. Mais bon, nous faisons avec : au bout de sept générations, nous nous retrouvons avec 5-6 caves dans tout le village. C'est comme ça...
Ici, nous faisons le dégorgement. Uniquement à la volée. La machine reproduit ce mouvement. Nous retirons la capsule, les lies sont expulsées et nous rebouchons de suite. Nous faisons 1000 bouteilles dans la journée. C’est moins qu’avec le bain de glace, mais cela évite le choc de température. C’est un tout petit plus. Mais bon, plein de tous petits plus, c’est ce qui finit par faire la différence entre le bon, le très bon et le médiocre. C’est le souci du détail."
"Le retournage automatique, c'est un vrai progrès : cela permet d’avoir du temps pour faire des choses plus utiles à la cuverie.
Pour l’élevage sur lattes, nous essayons de ne pas avoir la même température toute l’année. Il faut que les vins vivent les saisons.
La fermeture avec l’agrafe, c’est intéressant. Nous allons faire une cuvée avec, mais cela demande une organisation. Nous préférons consacrer notre temps aux bâtonnages, et à réfléchir à l’élevage avant et après le dégorgement. Par exemple, les Empreintes, ça fait un an et demi qu’ils sont dégorgés. A la fin, je ne dis pas que ce sera la même chose qu’avec les agrafes. Mais avec le bâtonnage et le vieillissement prolongé, nous nous en approchons. Chaque domaine ne peut pas travailler TOUT.
Nous n’avons pas la chance de pouvoir stocker aussi longtemps que les maisons de négoce ou par exemple Benoît Tarlant. Il vend encore des 2002 ou des 2003. Nous, nous vendons déjà 2010. Mais un stock, ça ne se fait pas comme ça. Il faut une vie pour le consolider.
Chaque année, si nous gagnons un mois en plus de garde, c’est déjà bien."
Chaque année, si nous gagnons un mois en plus de garde, c’est déjà bien."
Allez, on déguste...
Ultradition Grand Brut : nez fin, beurré/brioché. Bouche pure, ciselée, très fraîche, avec des bulles fines. Miam !
Blanc de Blanc Grand Cru : nez plus sur la retenue, mais distingué. Bouche tendue, avec la droiture et la minéralité d'un Riesling mosellan, enrobée d'une matière dense aux bulles caressantes. LA classe !
Grappes dorées 1er Cru : nez superbe, entre fruits secs, brioche et pralin. Bouche ronde, ample, presque moelleuse, avec des bulles délicates et une belle fraîcheur. L'équilibre est superbe. J'aime beaucoup
Blanc de blancs Nature : nez sur la craie humide et la noisette fraîche. Bouche puissante, intransigeante, avec une effervescence et une acidité marquées. Bouche à la mâche expressive. A réserver aux amateurs de "Nature"
Blanc de blancs Ultradition (le même mais dosé à 5 g/l) : nez plus expressif. Bouche plus ronde, plus gourmande, avec néanmoins de la tension et de la fraîcheur. On retrouve la mâche en finale, en plus civilisée.
Les EmpreinteS 2009 (50 % Pinot noir, 50 % Chardonnay) : nez élégant et complexe. Bouche à la fois tendue et ronde, crémeuse, avec une aromatique intense. Finale épicée superbe. Excellent !
Les Vignes d'Autrefois 2010 (vieilles vignes de Pinot Meunier) : nez fin. Bouche très concentrée autant en arômes qu'en texture, avec une bulle très fine, mais un peu trop statique. A utiliser avec un plat qui le tonifie.
Les 7 Extra Brut (7 cépages, solera de 2005 à 2012) : nez très élégant, avec des notes d'évolution. Bouche à la fois fraîche, tonique, et en même temps, ronde, douce, avec pour le coup une grande énergie. Finale crayeuse.
Millésime 2006 (85 % Chardonnay, 15 % Pinot Meunier) : très beau nez, entre notes grillées, briochées, de fruits secs et de vanille. Bouche harmonieuse, avec une texture fine et crémeuse, et une tension tonique qui trace jusqu'à la finale bien expressive. Extra !
Rosé Ultradition (assemblage blanc/rouge): nez fruité/floral, légèrement grillé. Bouche fraîche, désaltérante, avec de la vivacité et des bulles crépitantes. Pour l'apéro.
Rosé les Beaudiers (saignée de Meunier) : nez plus évolué et complexe, presque fumé. Bouche ample, caressante, avec une acidité tendue enrobée par une matière dense et charnue. Finale longue et aromatique. Un rosé de repas (pigeon, gibier).
Merci à Aurélien pour son accueil et ses lumineuses explications !
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