Depuis quelques années, on a fini par s'habituer à voir ce cépage dans les rayons de "Vins du monde". Il fait presque partie du décor de la viticulture mondiale. Et pourtant, celui-ci a failli disparaître, ou disons de se perdre au milieu d'une parcelle de Merlots d'une vigne chilienne.
Au départ, le Carmenère, appelé aussi Grande Vidure, est l'un des cépages les plus répandus du Bordelais. Il est alors cultivé "en foule", à 20.000 pieds par hectare. Chaque pied donne peu de grappes, mais comme il y a beaucoup de pieds... Arrive le Phylloxéra qui détruit quasiment l'ensemble du vignoble. On trouve la solution du porte-greffe pour résister au maudit insecte. Sauf que le porte-greffe ne sied guère au Carmenère : il fait beaucoup de coulure (une grande partie des fleurs n'est pas fécondée, donc peu de raisins). Le cépage est abandonné, et oublié.
Avant ce séisme viticole, quelques chiliens dont Silvestre Ochiavaga, ont eu la bonne idée d'importer dans leur pays des plants des différents cépages bordelais, dont le Carmenère. Là-bas, il ne sera jamais arraché, mais il finit tout de même par être oublié. Puisqu'il finit par être confondu avec son demi-frère le Merlot (et commercialisé en tant que tel).
En 1991, un professeur de l'Université de Montpellier, Claude Valat, se balade dans les vignes d'un domaine chilien (Carmen, dans la vallée de Maipo, le hasard fait bien les choses!) et repère des pieds qui ne ressemblent pas aux autres. Il ramène un exemplaire en France et le confie à l'un de ses collègues, l'ampélographe Jean-Michel Boursiquot. En 1994, les résultats tombent : ce "Merlot pas comme les autres" est du Carmenère, un vieux cépage bordelais.
Les Chiliens voient alors une occasion de se différencier des autres producteurs mondiaux, et dès 1996 apparaissent les premières cuvées 100 % Carmenère. En plus d'être original, celui-ci offre des vins de meilleure qualité que le Merlot ou le Cabernet-Sauvignon. Il est également intéressant en assemblage avec ce dernier, sa rondeur faisant un beau contrepoint au jansénisme du Cab'Sauv'.
En 2009, le professeur Boursiquot et Carole Meredith de l'Université de Californie à Davis ont découvert grâce aux tests ADN que le Carménère était issu d'un métissage intraspécifique entre le gros cabernet N et le cabernet franc N, le gros cabernet étant un métis entre fer servadou N et txakoli.
Thierry Bos (Bouillerot) devant un pied de Carmenère
Depuis quasiment les débuts de Vins étonnants, nous proposons un vin contenant de la Carmenère : Cep d'Antan. Mais il est assemblé avec du Petit Verdot et du Malbec (un tiers de chaque). Nous souhaitions ajouter à notre collection de vins monocépages une Carmenère qui soit vinifiée "classiquement". Car la Grande vie dure du Clos Ouvert référencée depuis quelques mois est franchement typée "nature"..
Errazuriz est l'un des plus anciens producteurs du Chili (installé en 1870) et planta de la Carmenère dès cette époque (et l'oublia, comme les autres...). Cette cuvée un assemblage de vignobles de deux vallées : Maipo (climat frais) et Aconcagua (méditerranéen). Seule 1/3 de la production est passée en fût pour ne pas trop boiser le vin.
La robe est rouge sombre aux reflets violacés.
Le nez, très expressif, évoque les fruits noirs, le cacao et les épices grillés, rafraîchi par une touche mentholée.
La bouche est ronde, de belle ampleur, avec des tannins d'une grande finesse, et ce qu'il faut de tension et de fraîcheur.
La finale est vraiment savoureuse, sur les fruits et les épices, soulignée par un léger toasté.
Re-dégusté au bout de quatre jours après ouverture, le vin n'a pas perdu de son charme : on est sur la crème de cassis, et toujours autant de douceur et de soyeux en bouche, sans une trace de dureté et d'oxydation.
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