mardi 19 juillet 2016

Bordaxuria : visite passionnante du domaine


Le domaine Bordaxuria, comme pas mal d'entre vous le savent, est l'un de mes grands coups de cœur de ces derniers mois, que ce soit pour son Irouléguy blanc ... ou son Irouléguy rouge. Ayant l'occasion de passer pas trop loin lors du pont du 14 juillet, j'en ai profité pour aller voir avec deux amies ces p'tits jeunes qui m'ont épaté. Nous n'avons rencontré que Elorri Reca, la partie féminine du duo. Mais comme vous le constaterez rapidement, elle n'est là pour faire de la figuration. 


J'ai pris depuis dix ans l'habitude d'enregistrer mes visites dans les domaines. Cela me permet de retranscrire plus fidèlement les propos des vigneron(ne)s. À partir de maintenant, c'est donc Elorri qui qui s'exprime : "ici, c’était la ferme de mon père, transformée en domaine viticole. Et à Saint-Just Ibarre, il y a la ferme de ma mère qu’ont reprise mes deux sœurs, où il y a les brebis, la production de lait, de fromages, de viandes et même de jus de pomme. Ma sœur aînée a aussi une formation viticole. Elle vient nous aider aux vendanges, mais elle préfère travailler à la ferme. Mon père, à la retraite, vient régulièrement nous donner un coup de main. 

Mes parents étaient autodidactes, ils n’avaient pas de connaissance technique de la vigne. Alors que mon compagnon, Brice Robelet, et moi, nous nous sommes lancés dans l’aventure après voir fait des études. Ils nous font confiance, et nous faisons tout pour qu’elle soit méritée. Les premières vendanges communes, c’était génial, autant à leurs yeux qu’aux nôtres. Une  façon de passer le relais. 

Lorsque nous avons repris la propriété en 2010, nous avons d’abord commencé à prendre soin des vignes. Nous  n’avons débuté les vinifications qu’en 2014. Dès que nous nous sommes installés, nous nous sommes mis au bio, sans demander la certification, histoire de voir si ça se passait bien dans les vignes. En 2015, nous avons démarré une conversion officielle. Nous serons certifiés bio en 2018 si tout se passe bien. "



"Nous avons  7 hectares de vigne en production qui appartenaient à mes parents, et nous avons planté une nouvelle parcelle en contrebas – du Petit Manseng,  du Gros Manseng et du Petit Courbu. Et une autre de Cabernet Franc sera bientôt plantée. Cela fera en tout 10 hectares. Nous essayons de rééquilibrer l'encépagement. Le Cabernet Franc donne des jolies choses." 

À gauche, la parcelle en repos qui sera bientôt replantée. Au fond, Saint-Jean Pied de Port
"Nous nous posons beaucoup de questions sur le matériel végétal. Nous avons mis en place un conservatoire avec une soixantaine de plants issus de vieux pieds de Cabernet Franc et de Tannat. Contrairement aux  clones actuels, ils résistent à l’Esca. Ce champignon s’attaque à des pieds de plus en plus jeunes.

Nous nous sommes formés à la taille Poussard afin de favoriser la circulation de la sève dans les ceps.Nous nous servons de plants issus de nos vieilles vignes, greffés par le pépiniériste Lilian Berillon. Il fait de la greffe ancienne en fente. Elle pose moins de problèmes que la greffe mécanique en oméga. Le problème de cette dernière, c’est que les tests ne permettent pas de voir si les tissus sont bien soudés. Alors qu’avec la greffe en fente, si le test est positif, c’est que la soudure est réussie. Sinon, elle casse."

Quelques pieds en échalas, un clin d'oeil à Brice Robelet, le compagnon d'Elorri, originaire de Condrieu
"Par ailleurs, sur une autre parcelle, nous n’avons planté que le porte-greffe. L’idée est de laisser se développer son système racinaire. Nous sommes en train de nous former pour greffer sur place en écusson. Il faut mettre le greffon sous l’écorce. C’est très fin. On ne fait quasiment pas de plaie. La différence avec un greffé-soudé est énorme en terme de colonisation du sol par les racines. L’année où l’on greffe l’œil, il y a déjà un début de production car le système racinaire est bien développé."

Le chemin en dur mis en place par le père d'Elorri. Il y avait trop de ravinement suite aux pluies fréquentes
"Le vignoble repose sur du grès, une roche dure souvent affleurante. Les parcelles les plus hautes sont plantées sur une ancienne carrière. Ils descendaient les blocs pour en faire des pierres de taille. Plus on monte, plus les conditions sont difficiles pour la vigne, avec seulement 20 cm de sol. Alors qu’en bas, il est plus profond, mais aussi plus limoneux, avec un peu de craie.

Les blancs sont plutôt en bas de pente, car ils ne nécessitent pas une forte contrainte hydrique pour donner des raisins de qualité. Comme le Petit Manseng n’est pas un cépage généreux – il a des grappes lâches, avec des petites baies – autant le mettre où il profite un peu plus."


"Il y a 250 hectares de plantés en appellation Irouléguy, dont 150 sont vinifiés à la cave coopérative. Il n’y a que 12 vignerons indépendants (domaines entre 3 et 15 ha). Le potentiel de développement est immense, puisqu’il y a 1200 ha classés en AOP. Le problème, c’est que les terres appartiennent à des éleveurs de brebis :  cela ne leur paraît pas suffisamment rentable de les louer en fermage ou de les vendre. Ce qui nous intéresserait serait de trouver des parcelles pas trop pentues pour ne pas avoir à créer des terrasses. Mais elles sont souvent inaccessibles".

Le vent très présent à Irouléguy aide à sécher les feuilles après les épisodes humides, mais il facilite aussi la dissémination des spores. Nous sommes tout de même plus avantagés qu’une région comme Bordeaux, car leurs sols sont beaucoup plus riches en argiles qui relarguent l’eau tout de suite.

Ceci dit, il pleut aussi beaucoup chez nous : 1800 mm par an ! Et ce début d’année est un record en la matière. Notre chance par rapport à d’autres régions, c’est que les sols sont drainants, nos vignes sont en coteaux avec une exposition plein sud et une bonne ventilation. "

Une couleuvre prend le soleil au pied des vignes
"2014 était une année particulière, avec des très très petits rendements. Et nous avions l’impact du mois de juin 2013, froid et humide. C’est à ce moment-là que se forment les ébauches de grappe de l’année suivante. Au printemps, nous voyions les bois pousser sans les grappes. Les rendements ont été de 15 hl/ha, mais il y avait une très belle maturité, avec une grande concentration. La qualité des peaux nous a permis de faire des macérations pelliculaires sur les blancs.

En 2015, les conditions étaient meilleures et les rendements un peu plus élevés. Les peaux des raisins noirs étaient belles : nous avons pu faire des extractions de 30 jours. "


"Les terrasses ont  permis de planter à des endroits où il était impossible de le faire autrefois, mais la contrepartie est qu’il y a peu de pieds  à l’hectare. Lorsqu’il n’y a qu’un rang de vigne par terrasses, nous sommes à 2000 pieds, et le double lorsqu’il y a deux rangs. Le problème, c’est qu’on ne trouve pas de machines pour tondre de l’autre côté du rang. La débroussailleuse à dos sur 7 ha  en été !...

Et puis les rendements sont faibles si l’on veut produire un vin de qualité : environ 25 hl/ha. Donc beaucoup de travail pour peu de vin au final. Donc forcément, le prix de production est répercuté sur la bouteille. Quand j’entends les gens me dire « c’est cher pour un Irouléguy », ça m’énerve. Mon compagnon est originaire de Condrieu : ils font là-bas des rendements plus élevés et vendent leurs vins à 30-40 € la bouteille. Et personne ne leur dit rien ! 


"Tous les outils que nous récupérons doivent être adaptés.  En bio, le must est de faire du face par face. Mais ce serait trop compliqué avec nos terrasses. Du coup, utilisons un pulvérisateur classique sur lequel nous avons branché un canon à eau géré par le conducteur avec un vérin qui permet de pulvériser par le haut l'autre côté. Malgré tout, il est difficile de faire correctement les deux faces. C’est souvent là qu’il y a des départs de mildiou."


La salle de dégustation où sont aussi organisées des soirées autour des produits fermiers familiaux.


"Nous nous donnons tellement de mal à la vigne pour avoir de beaux raisins que nous essayons de les respecter au mieux au chai. Nous sommes une douzaine  à vendanger. Nous ne ramassons que le matin. Nous stockons le raisin dans la pièce à côté, et après ... nous passons à table ! 

Après le repas, ce sont les mêmes qui trient la vendange. Les raisins noirs sont éraflés puis hissés dans les cuves avec la girafe. Au bout de celle-ci, il y  a un fouloir qui pince la peau afin de libérer le jus.  Cela se fait au dernier moment pour limiter l’oxydation. Il est utilisé pour les Cabernets, mais pas pour le Tannat qui a la peau très fine. Pour les raisins blancs, la girafe est utilisée pour les amener dans le pressoir pneumatique. La girafe sert aussi pour les décuvages. 

Nous vinifions les raisins par parcelle – par niveau d’altitude. Mes parents ont bien fait les choses : ils ont complanté les différents cépages à chaque niveau. Cela permet d’avoir des expressions variées de chacun en fonction des profondeurs de sol et de l’altitude. Nous prolongeons ce  choix parcellaire lors de l’élevage. Cela nous permet de mieux comprendre le potentiel de chaque parcelle. 

Nous faisons un remontage – avec une pompe très douce – ou un pigeage par jour durant la fermentation. Lorsque l’alcool est là, nous décidons à la dégustation si nous continuons à la même cadence, ou un  jour sur deux. Le pigeage se fait soit à la main, soit avec les pieds en plaçant une échelle en travers de la cuve. Nous sommes très délicats car il ne faut pas déchirer les peaux."



"Pour l’élevage des vins rouges, nous travaillons avec trois matériaux : le bois, l’inox et le béton. Les plus légers vont aller en cuve inox, les intermédiaires – ceux qui ont des tannins plus présents, mais ronds et fondus – en cuve béton. Ce matériau est poreux : ils vont donc évoluer un peu. Les plus corpulents vont en barrique. Il faut de la matière pour que le bois ne prenne pas le dessus." 


"Pour les vins blancs, un tiers font la fermentation et l’élevage sur  lies en barriques – nous n’y touchons pas – et les deux-tiers en cuve inox. C’est  l’assemblage des deux qui va apporter la complexité finale : l’inox va apporter le fruit de départ, le bois va apporter la texture en bouche.  

Nous ne travaillons pas avec du bois neuf. Il est donc difficile de collaborer avec un tonnelier. Nos barriques proviennent d’un vigneron de Crozes-Hermitage qui s’en servait pour ses vins blancs. Nous y entonnons d’abord les blancs, et puis les rouges l’année suivante."

Démonstration du système Oxoline par Elorri
"Nous utilisons un système Oxoline® qui permet de faire pivoter les barriques sur elles-mêmes sans le moindre effort. Nous pouvons aussi les déplacer facilement avec un transpalette. Elles nous servent pour « bâtonner » les blancs – remettre les lies en suspension – sans avoir besoin d’ouvrir les barriques. Cette méthode préserve mieux les vins de l’oxydation."


Rosé 2015 (Cabernet Sauvignon/Tannat). "Il résout le problème de la maturité des peaux du Cabernet-Sauvignon. C’est un rosé de pressée.  Ce qui nous intéresse ici, c’est la pulpe des raisins." La robe est d’un rose plus prononcé qu’en Provence, mais moins qu’un Clairet. La bouche, elle, est plus proche d’un blanc, avec une tension précise et une fine acidité qui trace. Tout cela est enrobé d’une matière ronde, limite pulpeuse. La finale est mâchue, typée, marquée par le bourgeon de cassis.  

Irouléguy blanc 2014 : nez complexe, profond, riche et frais à la fois. Bouche qui allie maturité et fraîcheur, avec une tension inflexible, mais pas rigide. Un équilibre d’école, proche de la perfection.

Irouléguy blanc 2015 : nez un peu plus riche que le précédent, avec une légère touche boisée. Bouche plus enveloppante, d’une grande intensité, avec une acidité encore mieux intégrée. Je persiste sur mon impression précédente : ce vin est une petite merveille !

"Nous avons moins d’acide malique qu’à Jurançon. Ce qui explique que nous avons souvent un profil moins tendu, sans avoir besoin de faire de fermentation malolactique."


Irouléguy rouge 2014 (60 % Cabernet Franc, 40 % Tannat) : nez sur la cerise noire, la myrtille et les épices douces. Bouche douce, veloutée, profonde, avec beaucoup de fraîcheur. Finale puissante, mais pas agressive.

Irouléguy rouge Kixka 2014 (90 % Tannat, 10 % Cabernet Franc - élevage bois) : nez Sud Ouest « bien élevé ». Bouche puissante, structurée, avec des tannins bien marqués, mais parfaitement mûrs. Finale dans la continuité, avec de la salinité. Vin à boire avec un confit de canard !


Elorri nous a fait goûter le fromage de brebis produit ses sœurs. Aussi bon, avec le blanc qu'avec le rouge, même si j'ai une légère préférence pour le blanc ;-) Elle nous a fait aussi découvrir le saucisson de mouton enrichi au gras de jambon de porc basque. Une petite merveille à un prix cadeau (5 €)


Conclusion : j'ai visité beaucoup de domaines réputés dans ma vie. Ils excellent souvent dans certaines parties du process viti-vinicole, mais négligent souvent d'autres points. À Bordaxuria, on sent que tout a été pensé, avant même que le pied de vigne ait été planté. C'est évidemment une chance de démarrer sa carrière de vigneron en 2010 : cela permet de ne plus répéter les bêtises qu'ont pu faire les aînés. Et pourtant, parmi les jeunes, pas tant que cela ont le souci d'excellence d'Elorri et de Brice. 

En dégustant leurs vins il y a un mois, je pressentais que le couple était doué pour avoir réussi aussi bien ses deux premiers millésimes. Je sais maintenant que cela n'a rien à voir avec le hasard : ils ont des outils performants, un véritable savoir-faire et une volonté de faire les meilleurs vin possibles. Les trois réunis, cela donne de très belles choses !

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