vendredi 29 juillet 2016

Bordatto : la pomme transcendée


Cette journée du 16 juillet fut vraiment passionnante : le matin, nous avons rencontré Elorri Reca au domaine Bordaxuria qui nous a expliqué avec moultes détails sa démarche pour produire des vin de (très) grande qualité. Et l'après-midi, après un pique-nique avec un point de vue exceptionnel du sommet du Pic Aradoy ...


... nous sommes arrivés chez Pascale et Bixintxo Aphaule au domaine Bordatto. J'ai déjà eu l'occasion de boire ICI et une partie de leur production : j'ai été impressionné par la finesse et la précision des différentes cuvées, avec cette impression de boire plutôt de très bons vins que des cidres. En fait, à l'instar de notre visite du matin, tout s'explique lorsque le vigneron-cidrier vous raconte sa démarche d'une rare minutie. Nous sommes à mille lieues du cidre fermier produit "à l'ancienne" avec tout ce qu'il peut y avoir d'artisanal dans le pire sens du terme. Mais je n'en dis pas plus. Je laisse maintenant la parole à  Bixintxo. Ce sera plus simple...


"Lorsque nous avons démarré en 2001, nous  n'avions pas de verger. Nous voulions faire du vin, car c'était notre métier d'origine. Mais nous avions trop peu de vignes pour en vivre. Nous avons fini par trouver 2,5 ha de verger : c'était de la Golden, de la Canada et autres variétés de ce genre. L'ancien propriétaire faisait un traitement tous les 4 jours de mars à septembre. Nous l'avons repris en  janvier. En février, nous avons pris les tronçonneuses pour tout couper. Pour nous, ce n'était pas logique : si nous arrêtions de traiter, les fruits allaient être malades. Et même les fruits sains n'auraient pas été bons. Même économiquement, ce n'était pas viable ; tu fais juste travailler le marchands de produits phytosanitaires.

Nous avions repéré plein de pommiers dans les environs dont personne ne s'occupait : ils n'étaient pas malades, et les pommes très bonnes. Nous avons commencé à faire ce que nous continuons toujours aujourd'hui :  nous ramassions plein de pommes chez les uns et les autres en essayant de les identifier. Observer celles qui poussent sur tel sol,  ou tel autre. Et puis, nous avons commencé à greffer et replanter pour reconstituer le verger.

Cela fait deux ans que nous avons préparé mille arbres qui seront  plantés l'hiver prochain. Ces trente variétés que nous avons identifiées sont adaptées à la climatologie locale : elles ne tombent pas malade. Aujourd'hui, en arboriculture, parler de pommes qui ne tombent pas malade sans utiliser de pulvérisateur, c'est complètement inimaginable. alors que c'est simplement du bon sens paysan. 

Pour compléter notre production, nous achetons des pommes dans les villages alentours, mais nous sommes intransigeants : les arbres ne doivent pas avoir été traités de l'année, et c'est nous les ramassons nous-mêmes afin d'être certains de savoir d'où elles proviennent, mais aussi pour les cueillir à parfaite maturité. Nous pouvons faire 5, 6, 7 passages dans le même verger pour ne ramasser que ce qui est mûr et impeccable. Elles ne sont pas certifiables  en bio comme l'est notre domaine, car souvent les propriétaires de ces pommiers ne sont pas agriculteurs. Nous ne pouvons pas faire venir un contrôleur pour un ou deux pommiers. En plus de l'aspect "résistance aux maladies", nous sommes aussi attachés à la typicité locale. Cela ne nous intéresse pas de faire la même chose qu'en Bretagne ou en Normandie. 

Le greffage se prépare deux ans avant de planter. Nous prélevons une pousse de l'année – le greffon – au mois de janvier. Nous les gardons au frais et à l'humidité puis on nous les greffons au mois de mars sur un porte-greffe. Il est possible de planter en franc de pied, mais cela sera trop vigoureux : vous aurez un arbre superbe ... mais  il va mettre 10-15 ans  à vous produire des pommes ! Alors qu'avec le porte-greffe, il faudra entre 5 et 10 ans. Nous pourrions utiliser des porte-greffes moins vigoureux qui entreraient en production encore plus rapidement, mais il faudrait les palisser. Or, avec nos sols pentus, c'est difficile à mettre en place. Nous avons besoin de pommiers bien ancrés au sol avec un bon système racinaire. Il faut trouver le bon équilibre entre bois et fruit."


"Nous avons planté cette parcelle il y a sept ans. Nous laissons les pommiers pousser comme ils veulent en faisant le minimum : juste un coup de sécateur si une branche gêne. Nous travaillons les sols autour, mais pas sous les pommiers, car nous voulons étudier le comportement de chaque variété. C'est un peu notre collection issue de nos années de prospection. Toutes les variétés sont réunies ici sur le même sol. Cela permet d'y voir plus clair. Car parfois, une même variété était plantée sur des sols et des expositions différents : les pommes ne se ressemblaient pas.  Par exemple, certains pensent que apez sagarra  est marron, et d'autres qu'elle est orange. En fait, c'est la même variétés, mais il y a des endroits où la pomme ne prend pas assez d'ensoleillement pour avoir cette couleur orange."


"Au départ, nous ne produisions que deux cidres : un sec et un demi-sec, et puis après, au fil de ce que nous apprenons chaque année, la gamme évolue. Tous les ans, nous remettons les compteurs à zéro, en nous adaptant aux conditions du millésime.. Il y a des constantes dans les assemblages. Par exemple, dans Basandere, il y a une pomme sans laquelle nous ne pouvons pas faire cette cuvée  : elle s'appelle Bordelesa. On s'attend à ce que ce soit super acide et astringent. En fait, pas du tout. Aucune acidité, mais elle a un parfum superbe et  un fruité génial. Le problème, c'est que souvent, les gens sont pressés et la ramassent trop tôt. C'est pour cela qu'elle est souvent décrite comme une petite pomme verte. En fait, si l'on patiente, elle est jaune et grossit un peu.

Cidre ou vin de pomme ? Il nous semblait que c’était un problème très culturel. Le cidre est situé par la plupart des gens en Bretagne ou en Normandie. En fait, pendant très longtemps, c’était le vin du pauvre que l’on trouvait un peu partout. Et on en trouvait au Pays basque avant même qu’il n’apparaisse en Normandie. Beaucoup de variétés de pommes sont nées à partir de Malus sylvestris. Et puis, à partir du Moyen-Âge, il y a eu beaucoup d’échanges entre le Nord et le Sud, que ce soit par les pèlerinages ou les marins  pour qui c’était une boisson facile à transporter pendant de longs trajets. 

En Espagne, sagardoa signifie littéralement vin de pomme. Il fait  2 g/l de volatile, et il se consomme comme ça. En France, il ne peut pas rentrer dans l’appellation cidre : c’est donc boisson fermentée à base de pomme. Nous estimons que nous trompons beaucoup moins les gens en l’appelant vin de pomme plutôt que cidre. Parce que si l’on pense au cidre – en tout cas inconsciemment – on pense aux bulles. Or,  ici, elle n’est pas importante en terme de présence : il peut y en avoir un peu, mais nous ne la recherchons pas. Vin de pomme nous paraît plus correspondre à ce qu’il y dans la bouteille que cidre

Ce qui nous a fait évoluer sur le sujet, c’est un passage à Francfort où nous avons dégusté plein de choses phénoménales, et nous avons découvert là-bas que les Allemands utilisaient le terme Apfelwein, soit vin de pomme. Cela correspond donc à notre sagardoa

Nous ne voulons pas d'acidité volatile importante. Donc nos vins de pomme sont légalement des cidres. Quoi qu'il faille un minimum de gaz carbonique que nous n'atteignons pas (3g/l). Nous sommes donc dans quelque chose qui n'existe pas vraiment. En tout cas en France. En Espagne, on retrouve ce type de vin de pomme entre 1 et 2 g de volatile, entre Saint-Sébastien et Bilbao, qui se vend surtout en cidrerie entre janvier et avril, le restant étant mis en bouteilles ou vendu dans les bars. Il y a une consommation très importante côté espagnol. Ici, non : les Français ne se pas trop habitués au côté aigre des cidres jeunes. 

Le souci en Espagne, c'est l'origine des pommes. Si l'habitude de consommer du cidre est restée, les vergers ont quasiment disparu. D'où le gros arrivage de pommes de Bretagne et de Normandie. Il y a aujourd'hui une tentative de replanter des vergers, mais cela ne suffit pas. 

Nous vendons 50 % sur place (amateurs de vins et de produits locaux), 25 % cavistes et restaurateurs et 25 % export (Japon, Suède, Finlande, Hongrie...). Que des passionnés qui transmettent leur passion à leurs clients.


Txalaparta 2014 :  le nez est puissant, limite violent, sur des notes de fumée (pierre à fusil), de grillé (entre sésame et pétard) et de pomme séchée. La bouche est droite, tendue, avec une matière riche, concentrée mais fraîche, s'écoulant dans le palais comme un torrent en fin d'hiver. L'effervescence est d'une grande discrétion, mais elle apporte une touche élégante à un ensemble plus brut. La finale dévoile une mâche puissante, explosive, avec une astringence marquée qui vous escagasse agréablement les papilles.

"Il n’est pas travaillé en assemblage. Il y a juste deux variétés intéressantes. L’une a une belle vivacité et des jolis tannins qui apparaissent lorsque la pomme est surmûrie. Lorsqu’on parle de surmaturation pour une pomme, ce n’est pas une question de concentration en sucre. Fin septembre, la variété apez sagarra  est croquante, acidulée, sympa à manger. Trois semaine/un mois après, elle est farineuse, toujours sucrée, avec un peu d’astringence. Donc les gens la mangent moins. Mais elle est intéressante pour nous,  car elle va apporter de la structure. Une fois le jus clarifié, nous le vinifions en barrique. Cela va se faire très lentement (6-10 mois). Les arômes de la barrique – jamais neuve (3-4 vins) – se marient bien à ceux de la pomme très mûre. Il  y a un côté fenouil/anisé qui évolue vers le fruit sec, voire fumée. 2014 commence à pouvoir se boire maintenant (juillet 2016). Mais souvent, les clients boivent nos cidres trop jeunes.

Lorsque nous mettons  en bouteille, le vin de pomme est tranquille. Il reste 15-20 g de sucres. Comme l’on sent un léger perlant, cela veut dire qu’il y a une légère reprise de fermentation, mais on ne peut pas parler de prise de mousse. Cela explique un peu les notes fermentaires et une pointe de réduit. 

Cela provient en partie de nos choix : levures indigènes, pas de soufre, pas de matraquage du jus pour le clarifier, juste une filtration avant la mise en bouteille pour être sûr que ce soit net. Mais tout est naturel. Le revers de cela, c’est que c’est vivant, mais c’est ce qui  me plaît. Il faut accepter cette évolution, ce côté réduit. Un coup de carafe, et puis voilà. 

Nous produisons Txalaparta depuis 2004. Jusqu'en 2014, nous bouchions la bouteille avec un bouchon et un muselet, tout en passant notre temps à expliquer aux clients qu'il ne fallait pas s'inquiéter que ça ne pète pas : c'est normal. En 2014, nous avons commencé à produire Oreka , aussi en vin de pomme. Nous voulions que nos clients goûtent ce que nous dégustons avant les assemblages précédant la mise en bouteille. Nous les goûtons "tranquille", et nous essayons de nous projeter après la prise de mousse. Pendant l'hiver, nous goûtions des cidres qui avaient un an qui terminaient leur prise de mousse. Ils étaient en pleine maturité, et nous dégustions en parallèles les vins tranquilles que nous allions mettre en bouteilles d'ici un mois ou deux. Ils étaient intéressants tel quel. Devait-on leur faire faire une prise de mousse pour une simple notion inconscience de bulle ? Nous avons décidé de les laisser ainsi. Et en fait, Txalaparta,  c'était déjà ça : nous pouvions arrêter de mettre un muselet et expliquer aux gens que c'était normal. Il pétille gentiment au bout de quelques mois, mais sans risque que le bouchon saute.

Nous les mettons en bouteille après qu'ils soient stables durant de longues semaines. Ils ne bougent plus. Nous savons que le soufre est inutile sur la pomme. Il n'agit pas comme avec  le raisin. Pour faire un vin moelleux, il faut le muter au SO : on est quasi certain qu'il n'y aura pas de refermentation. Si vous faites ça avec la pomme, vous pourrez y mettre des doses de cheval : vous risquez d'avoir mal à la tête, mais rien n'empêchera la reprise d'une activité levurienne. Il faut travailler en amont  : un travail nickel, des pommes cueillies à parfaite maturité, un chai propre et froid. Il y a une filtration plus sévère que les autres cidres qui permet d'éviter une présence de levures trop importante. Mais nous ne faisons jamais une filtration trop serrée qui risque de dépouiller le vin. Nous mettons en bouteilles nous-même, parce que nous voulons le faire au moment où nous le souhaitons, et non dépendre d'une entreprise."




Oreka 2015 :  Le nez est fin, mêlant les notes de pomme fraîche et caramélisée (tatin), de poire, avec une pointe exotique (ananas frais). La bouche est ample, ronde, aérienne, avec des  bulles délicates qui vous caressent le palais. On pourrait s'attendre à de la douceur en finale, mais non : le vin est bien sec, avec une âpreté savoureuse et fruitée qui donne envie de se resservir illico.

"Il y a une variété très proche de apez sagarra qui s'appelle  eri sagarra, la "pomme poire". Sur un vin de pomme, on commencer à percevoir un début de sucrosité lorsqu'il y a 15 g de sucre par litre. Probablement parce qu'il est composé de moins d'éléments qu'un vin de raisin. L'absence de sucre le fait paraître plus sec, avec les tannins qui ressortent."


Basandere 2015 : la robe est or clair, avec une belle couronne de mousse blanche. Le nez, pas très causant, est sur des notes de pomme et de bière blanche. La bouche réussit à être tendue par une acidité ultra-fine et précise tout en développant une matière ronde, élégante, charmeuse, parsemée de bulles caressantes/chatoyantes. Ce cidre a le toucher de bouche d'un bon Champagne (un peu comme le Poiré Granite de Bordelet). La finale légèrement tendre a une mâche crayeuse des plus savoureuses, avec un bon goût de tarte aux pommes, se prolongeant sur des notes sur des notes épicées (cannelle ?)

"Dans les histoires basques, Basandere est une très jolie fille, elle est dans la montagne, assise tranquillement à l'entrée d'un gouffre d'une grotte, et elle passe son temps à se peigner avec un peigne en or. C'est un symbole : ses cheveux emmêlés, c'est la nature qu'elle essaie de dompter. Dès qu'elle voit un berger, il se fait avoir. C'est l'esprit de la cuvée : c'est facile à boire, il y a moins d'alcool que les autres.

Pour bien faire, il faudrait attendre un an après la mise en bouteille. Les arômes partent alors sur les fruits secs. Il est important de faire vieillir les bouteilles debout. Il y a à l'intérieur les lies provenant des levures utilisées pour la prise de mousse. Si vous la couchez, elles se déposent sur le long de la paroi de la bouteille, ce qui crée une importante surface d'échange, provoquant entre autres de la réduction. Lorsqu'elle est  verticale, les lies se déposent sur le pourtour du cul de la bouteille. La surface d'échange est beaucoup plus faible."


Basa jaun 2015 : la robe est d'un or plus soutenue, avec une mousse plus éphémère. Le nez est plus expressif, avec des notes très "cidre fermier authentique". La bouche est plus puissante et énergique, avec une matière plus dense, plus charnue, plus minérale, aussi (côté salin marqué). Mais les bulles restent tout aussi élégantes, ne prenant jamais le dessus. La finale est tannique, impétueuse sur des notes de pomme caramélisée et de brioche au beurre.




Mokofin 2015 : cela veut dire "le gourmet, la fine gueule". Le nez est beaucoup plus marqué par la pomme. La bouche est superbement équilibrée, avec une chair dense et ronde, à la fois moelleuse et tranchante, avec une tension très schiste. Une finale légèrement douce, mais sans sucrosité. On dirait à l'aveugle 15-20 g/l,  mais il y a certainement beaucoup plus. En fait, il y a ... 70 g/l !!!

"Il est issu de pommes tardives, qui atteignent leur maturité lors de la deuxième quinzaine de novembre. Elles ont gardé une  belle acidité  et sont très bonnes à manger.  Elles peuvent se conserver jusqu'au printemps. Mais nous ne les cueillons pas à ce moment-là. Nous laissons  le froid arriver, les premières neiges.  ; Cela concentre les saveurs, mais aussi tous les autres composants."

Bihotz 2014 : cela vaut dire le coeur  ou "deux  fois le froid" (hotz). Bouche  pure, traçante et digeste. Le sucre est présent, mais très digeste (90 g/l). La pomme transcendée !

"Pour faire une bouteille de  cidre classique, il faut compter 2 kg de pommes. Pour Mokofin, il faut 5 kg, et pour une bouteille de 50 cl de Bihotz il faut  12 kg.

Pour Txalaparta, nous assemblons deux variétés de pommes qui travaillent ensemble en fermentation en barrique.  Alors que pour les autres cuvées vinifiées en cuve, nous travaillons les pommes séparément et  ne les assemblons qu'en fin de fermentation. Pour Mokofin et Bihotz, nous les assemblons au pressoir.

Lorsque les pommes sont ramassées en surmaturité, elles sont flétries. Cela n'a  rien à voir avec les raisins. Nous avons  une palette aromatique qui s'ouvre complètement. Au départ, on est sur la pomme. Quand c'est flétri, on part sur le coing, la nèfle, le miel, les épices. La concentration pour produire Bihotz se fait au chai, car il ne fait pas -25 °C comme au Canada. La fermentation se fait barrique ouverte. Nous cherchons une oxydation légère. Nous ajoutons au final  une pichenette d'eau de vie de pommes. Sans cela, nous avions l'impression de boire du jus de pomme. Il manquait de la chaleur.

En 2015, nous n'avons pas fait de Bihotz. C'étaitvraiment bodybuildé, avec de la sucrosité, des arômes... vraiment too much. Tout est allé dans Mokofin.



Rosé (80 % Tannat jeunes vignes  + Cabernet franc) : plus vineux que celui de Bordaxuria, la bouche trace en finale. La mâche épicée est très Tannat.

Il fait une légère macération en cuve une demi journée avec les cépages assemblés, puis il  est pressé et vinifié comme un vin blanc. Il s'accorde bien avec les jambons secs ... et même la truite.

Irouléguy rouge 2015 (très vieilles vignes 60-70 ans : la robe pourpre sombre, brillante, fait penser à la peau des cerises noires. Le nez frais et explosif, évoque lui aussi la cerise noire, avec un nuage de poudre de cacao. La bouche est ronde, pulpeuse, avec une chair veloutée au fruit intense, le tout parfaitement tendu par une fine acidité. L'ensemble est d'un équilibre et d'une précision absolument remarquable. La finale a une belle "mâche Sud-Ouest", profonde, savoureuse, gourmande, avec toujours la cerise et le cacao, et une petite touche saline/minérale

"Pas d'assemblage pour ce vin, d'où son nom, Lurumea,  l'enfant de la terre. En fonction du millésime, nous adaptons la vinification, mais tout ne vient toujours que de cette parcelle. Les jeunes vignes ont remplacé une parcelle encore plus ancienne, probablement préphylloxérique. Elle a été dévorée en une nuit et la journée qui a suivi (au mois de  juin) par dix génisses. Elles ont tout mangé. Il ne restait que les pieds, les piquets et les fils. Ça été le coup de grâce car les vignes étaient très vieilles. Le plus dommageable, c'est que nous devions peu après prélever des bois de cette vigne pour en faire des greffons (ce que l'on appelle la sélection massale) afin de pouvoir rajeunir cette parcelle tout en gardant le patrimoine végétal.

Nous avons planté dans une parcelle hors appellation et bien exposée du Marselan. Nous ne savons pas ce que ça peut donner ici. Pour l'instant, ça  pousse bien. En tout cas, tous les vins issus de ce cépage que j'ai goûtés étaient bons. Ils ont la rondeur du Grenache et la fraîcheur du Cabernet Sauvignon. Au départ, nous voulions planter de l'Arinarnoa, plus typé Sud-Ouest (Tannat X Cabernet Sauvignon), mais c'était trop proche de ce que l'on trouve à Irouléguy qui utilise ces deux cépages.

On m'a donné le numéro de monsieur Bordelade qui prenait sa retraite, mais qui fut le stagiaire de Marcel Piquety qui a créé ces différents cépages pour l'Inra il y a une cinquantaine d'années. Il m'a expliqué que Piquety voulait métisser ces cépages de la zone atlantique pour corriger les défauts que pouvaient avoir le Tannat en ayant le souci de la résistance naturelle aux maladies - 2000 mm depuis plusieurs années : les champignons, je les préfère dans les omelettes... Et puis il me parle du Marselan, tout en me décourageant à choisir l'Arinarnoa, très tardif. Nous espérons qu'il apportera plus de souplesse dans l'assemblage.


Joko  (le "jeu"): robe noire, nez sur les fruits noirs et des notes goudronnées. Bouche très fraîche, fruitée, avec une matière veloutée. La pomme ressurgit en finale et persiste longuement.

"Le Tannat vendangé le 20 octobre, muté sur marc avec l'eau de vie de pomme distillée au domaine. Nous préférons utiliser un produit que connaissons qu'un alcool qui provient d'on ne sait où.  Après le mutage, nous ne savons pas du tout ce que va donner, car l'eau de vie domine complètement l'aromatique. Il faut attendre un mois ou deux, et là, nous  avons la réponse.

Au départ, il explose de fruit, et puis en vieillissant, il gagne  en élégance.  C'est alors superbe avec un beau chocolat de dégustation, ou un fromage de brebis de 6-8 mois."
Jus de pomme : la couleur est dorée, le nez superbe, sur la pomme tatin, le coing. Et la bouche affiche la même tension que les cidres, avec une belle matière ronde et mûre.

"Ce n'est pas un sous-cidre, mais un produit à part entière, composé de 5-6 variétés. On cherche à lui trouver un équilibre et une expression. On cherche donc des pommes qui apportent de la fraîcheur, d'autres un fruité, etc.

Un jour, nous avons servi ce jus de pomme dans une carafe à des clients sur un foie gras cuit au sel. Il s'est passé cinq bonnes minutes pendant lesquelles les convives discutaient entre eux en se demandant ce que pouvait être ce vin. En même temps, il sentait bien la pomme. J'ai fini par leur dire : "eh bien oui, c'est du jus de pomme !" Il se mariait très bien avec ce foie gras avec son goût acidulé."


Un chenillard impressionnant adapté au terrain et à la climatologie


"La cuverie n'est pas simple à gérer, car nous n'avons pas de petits volumes. "


Il faut un pressoir pour les raisins et un pour les pommes, car ce sont des fruits très différents. Le premier est un pressoir vertical hydraulique qui permet de presser tout en douceur. Le second (ci-dessus), malgré sa taille  réduite, est d'une efficacité redoutable. La pomme est râpée juste au-dessus de celui-ci et instantanément pressée, limitant l'oxydation. 


Merci à Bixintxo pour son remarquable accueil !

jeudi 28 juillet 2016

Barranco oscuro : étonnante rencontre !



Pas pour rien que notre site s'appelle Vins étonnants, car il nous arrive des choses... vraiment étonnantes. Il y a une quinzaine de jours, nous recevons le n° d'été de l'excellente revue Le Rouge et le Blanc. Avec un long reportage sur un domaine totalement inconnu à l'autre bout de l'Espagne : Barranco Oscuro. Je le lis vite fait en diagonale, en me  disant : "de toute façon, on n'est pas prêt de goûter leurs vins, et encore moins de les vendre..."


Et puis v'là t-y pas qu'il y a quelques jours, un certain Lorenzo Valenzuela nous contacte pour nous dire qu'il a l'occasion de passer par Limoges, et nous propose de nous faire déguster les vins du domaine familial. Bon, nous sommes toujours ouverts à ce genre de choses, c'est donc oui, bien sûr. À ce moment-là, nous n'avons toujours fait le rapport avec le reportage du R & B....



Lundi 25 juillet, 10 heures : Luisa et Lorenzo débarquent dont à notre entrepôt, les bras chargés de bouteilles. Non seulement leurs cuvées, mais aussi celui d'un voisin. Il faut dire que Luisa distribue en Espagne des vins presque aussi étonnants que les nôtres : Vinos Auténticos.

Et à un moment donné, ils nous montrent la couverture du R & B, et là, nous percutons : le domaine qui nous paraissait inaccessible est là, dans nos murs, et nous allons déguster leurs vins !... Enfin, pas tous, car la gamme est très large et ils n'ont pas tout amené. En plus de ceux-ci, il y a aussi plusieurs blancs secs, des pétillants, un PX en vendange tardive... 

Source photo : food truck blog
Petite présentation du domaine (résumé de l'article du R & B en un paragraphe) : Manuel Valenzuela achète en 1979 une maison à Cádiar, sur les hauteurs des Alpujarras (1300 m d'altitude), située entre la Sierra Nevada au nord, et la Méditerranée à 12 km au sud. En 1982, il plante ses premiers ceps dans l'idée de faire du rosé. Puis en 1986, il produit ses premiers rouges. Dès 1989, il se convertit officiellement au bio. Aujourd'hui, le vignoble fait 12 ha et comprend 14 cépages différents, et son altitude est comprise entre 1280 et 1368 m d'altitude. Les sols sont majoritairement schisteux, avec plus ou moins d'argile. Le climat est méditerranéen le jour, continental la nuit  (jusqu'à 15 ° d'amplitude thermique), ce qui permet d'avoir de très belles acidités qui équilibrent parfaitement les vins. Les vinifications sont totalement naturelles, sans le moindre ajout d'intrants – même pas de sulfites à la mise – avec le minimum d'extraction possible. Depuis 2015, ils ont même poussé le vice à n'incorporer que la moitié du marc dans les cuves et ont pressé le reste, histoire d'avoir à encore moins extraire !

Voici donc ce que nous avons goûté ... et de suite acheté !!!



Salmónido 2014 : la robe est vermillon orangé, couleur saumon sauvage de l'Alaska.

Le nez grillé/fumé "sésame & pétard" fait plus penser à un chardonnay bourguignon voire jurassien – style Graviers de Tissot – qu'à un vin rosé (LE vin à servir en verre noir !). Il y a aussi une pointe de volatile pas du tout désagréable qui apporte une touche de fraîcheur.

La bouche est ample, aérienne, avec une matière douce, soyeuse, tendue par une fine acidité. L'aromatique n'est pas là non plus porté sur le fruité, mais toujours sur ces notes grillées/fumées, mais également une certaine vinosité qui n'est pas sans évoquer les rosés champenois (ce vin est un pur Pinot noir). Le bel équilibre masquerait presque la richesse du vin (15 % vol.).

La finale digeste et épicée conjugue acidité, amertume (quinquina, orange amère) et légère astringence.


El pino rojo 2014 : la robe est grenat sombre translucide, légèrement violacée.

Le nez pinote à donf, (normal, 100 % Pinot noir) sur des notes de cerise, de framboise, de poivre et de terre fraîchement retournée.

La bouche a un peu le même profil que le vin précédent : rondeur, ampleur, soyeux, tension élégante, mais avec plus de chair, de fruit et de densité, tout en restant aérien. La volatile présente en arrière-plan apporte une belle dynamique qui se prolonge en finale.

Celle-ci a une fine mâche crayeuse, assez bourguignonne, même si on sent que ça  chauffe plus que dans la Côte d'or.


Rubaiyat 2011 : la robe est encore plus sombre, à la limite de l'opacité.

Le nez est d'abord réduit – c'est  un 100 % Syrah – mais après aération, il devient expressif tout en restant aérien, sur des notes de fruits noirs bien mûrs, de cacao, de lard fumé et de pain d'épices. Là aussi, une pointe de volatile rafraîchit l'ensemble.

La bouche est plus tendue et fraîche que les deux vins précédents, avec une matière plus puissante et concentrée, plus veloutée/charnue que soyeuse.

La finale est raccord, avec une mâche intense, mais avec des tannins bien mûrs et gourmands, sur des arômes de fruits compotés, de cuir et d'épices.


Garnata 2011 : la robe est plus claire, plus proche de celle de Pino rojo.

Le nez est fin, épicé, avec des notes de prune, de tabac hollandais et de cuir.

La bouche est un mix entre le premier et le second rouge : la finesse et l'aérien du pinot noir, la fraîcheur et la tension de la Syrah avec des notes de menthol et d'eucalyptus qui montent crescendo pour exploser totalement en finale.

La finale est un monstre de fraîcheur. On a l'impression d'avoir mangé un Kiss cool ® . Comme la Syrah il y a une belle mâche, mais couplée à cette fraîcheur diabolique et à des notes résineuses, c'est un pur régal !


1368 millésime 2005 : la robe est plus claire et plus évoluée, faisant bien son âge.

Le nez lui aussi fait "tertiaire" sur des notes de sous-bois, de fleurs séchées, d'eau de vie de framboise.

La bouche est très aérienne, limite évanescente, mais accrochée à la terre ferme grâce une acidité tonique, limite tranchante.

La finale est beaucoup plus terrienne, avec une accroche un peu rustique qui invite à manger avec des mets gras et goûteux.

Deux jours après l'ouverture, il fait beaucoup moins évolué, avec le Cabernet Sauvignon qui s'exprime dans un style médocain plein de fraîcheur (tabac, cassis, cèdre, menthol). La finale est mieux intégrée à l'ensemble. On a vraiment l'impression de boire un grand Bordeaux dans une version plus aérienne/élégante. Superbe !

Conclusion : tous les vins sont d'une grande netteté, sans le moindre défaut. Certes, la volatile est plutôt élevée, mais elle est très bien intégrée dans chaque vin, et c'est plus une qualité qu'un défaut. Certes, sur le papier, ce sont des "vins qui cognent" (15-16% d'alcool), mais cela ne se ressent pas tant ils sont équilibrés. Bref, des vins que les amateurs de vins naturels doivent absolument découvrir !
PS : lors d'une  "soirée étonnante", j'ai fait déguster ce qui me restait des bouteilles 60 heures après leur ouverture à des clients amateurs. Tous les vins leur ont beaucoup plu, alors que certains se goûtaient un peu moins bien que le premier jour. Comme je l'écrivais un peu plus haut, le 1368 avait encore gagné en qualité, ce qui est bluffant pour un vin non sulfité.


mercredi 27 juillet 2016

Maccabeu 2015 : plus tranchant que d'ordinaire !



Pour ceux qui ont déjà goûté les autres cuvées 100 % Maccabeu que nous proposons sur Vins étonnants (TP3 blancMaccabeu by Carrel), cette cuvée de Ledogar tranche cette année par sa vivacité et sa "minéralité", comme on dit. Un profil différent du 2014, donc, nettement plus sudiste. Mais également du 2013, typé "Sancerre".  Là, on se croirait presque en Muscadet (avec seulement 12.5 % d'alcool). À se demander si le réchauffement climatique est bien réel (hélas, oui). En fait, sur les vins blancs, l'impact est faible, puisque seule la pulpe du raisin intéresse le vigneron. Il peut donc récolter des grappes qui ont une bonne acidité, sans s'inquiéter de savoir si la peau est parfaitement mûre. C'est une autre histoire sur les rouges, où celle-ci est en contact avec le moût durant souvent plusieurs semaines. Une trop faible maturité ne pardonne pas... 

Mais revenons-en à notre Maccabeu 2015...


La robe est jaune pâle.

Le nez est assez discret, sur la craie mouillée et le jus de citron.

La bouche est de belle ampleur, avec une matière pulpeuse et désaltérante, tendue par une acidité droite et nette, et soutenue par un léger perlant. L'aromatique est plutôt minérale, avec un côté "jus de caillou" bien prononcé.

La finale a une mâche savoureuse, avec l'impression de mordre dans la pulpe de citron (sans que ce soit agressif), se poursuivant sur des notes iodées/salines (varech).

Ce vin accompagnera avec bonheur des huîtres, un tartare de poisson, du saumon fumé, des fromages de chèvre ... ou des tapas (style anchois marinés). Si vos amis le boivent à l'aveugle, il est peu probable qu'ils partent sur un vin du Sud...



mardi 26 juillet 2016

Herbes hautes : barralien !


Oui, ce titre peut surprendre, mais je n'ai pas trouvé de meilleur adjectif pour qualifier ce nouveau millésime des Herbes hautes by Jeff Carrel (eh oui, encore lui). Cela m'est venu spontanément à l'esprit dès que j'ai senti ce vin, et cela s'est confirmé ensuite en bouche. Maissaveudirekoi ?  me demanderont certains. Eh bien, qu'il ressemble à un vin du domaine Barral en Faugères :  un nez en finesse souligné par une subtile volatile. Une bouche raccord, avec toujours cette volatile qui apporte de la tension et de la fraîcheur. Bon, la finale crayeuse est peut-être un peu moins barralienne. Faut  dire que nous sommes sur argilo-calcaires et non sur schistes. Mais la plus grosse différence n'est pas là. Ce vin, contrairement à ceux de Barral, est abordable dans tous les sens du terme : non seulement vous pouvez en acheter autant que vous voulez, mais le prix est dégressif en fonction des quantités. Bon, je ne saurais que trop vous conseiller d'en acheter d'abord  une pour voir s'il vous plaît  (à  7,90 €) avant d'en commander 24 (à 7 €). Cela évitera que vous me maudissiez s'il a l'heur de vous déplaire.

La robe est grenat translucide.

Le nez est fin et intense sur la framboise kirschée, la prune et les épices, avec une subtile volatile qui apporte de la fraîcheur.

La bouche est pure, élancée, toute en finesse, avec cette volatile qui tend élégamment le vin. La matière démarre soyeuse pour gagner ensuite progressivement en densité et en puissance.

La finale a une mâche crayeuse avec encore cette volatile qui apporte de la fraîcheur, soulignée par des notes résineuses (ciste, eucalyptus) et de menthol.

Un vin évidemment parfait pour accompagner de l'agneau (plutôt rosé que confit). Mais devrait convenir à beaucoup de plats sudistes.


lundi 25 juillet 2016

Les Borderies : laisser le temps au temps

Je vous parle aujourd'hui d'une rescapée. Cette bouteille de Borderies 2014 a failli ne pas être évoquée sur le blog car à l'ouverture, il est peu dire qu'elle était renfrognée :  le nez était plutôt mutique, l'acidité saillante, la finale un peu végétale, pas vraiment agréable. Bref, même en tournant les phrases le plus joliment possible, il me paraissait difficile de transformer la citrouille en carosse. Du coup, je l'ai rebouchée et mise au frigo du bureau, et laissé faire  le temps...

Une semaine passe. Un client fidèle aussi (et paf, un zeugma !). Je ressors la bouteille du frigo. Cela se goûte déjà nettement mieux, mais elle est très froide (notre frigo est du genre violent....). Je la laisse donc se réchauffer. Pas une heure, pas deux. Mais carrément cinq heures à température du bureau. Bref, la bouteille doit être à 20 °C. Je goûte, et là, miracle ! 

La robe est or clair, avec des reflets roses/argentés (non, non, je n'ai rien fumé....)

Le nez est aérien et profond, sur des notes de miel, de mirabelle, de coing, avec une touche végétale (absinthe ?) qui apporte de la fraîcheur.

La bouche est ample, harmonieuse, dévoilant une matière dense et minérale au toucher moelleux/velouté, et une tension classieuse, sans acidité apparente. 

La finale est crayeuse/caillouteuse avec une amertume cognassière  très Chenin, mais le tout est enrobé d'un subtil voile de douceur qui l'adoucit et l'harmonise. Et du coup, tout cela se fait sans heurt, se prolongeant sur des notes salines et poivrées. Finalement, ce Borderies me plaît beaucoup et mérite d'avoir sa photo placardée à la page principale du site.

Bon, alors, évidemment, nous n'êtes pas obligé de faire un copier/coller de ma procédure. Par contre, si vous carafez ce vin quelques heures et que vous le servez à une quinzaine de degrés, il devrait vous donner satisfaction. Mais il est clair que si vous ouvrez la bouteille au débotté et que vous la servez à 8-10 °C, la déception est assurée.




vendredi 22 juillet 2016

5 seaux : déclaré apte !


Les 5 seaux est devenu un classique de Vins étonnants depuis une dizaine d'années. Il fait partie des bouteilles qu'il nous faut déguster impérativement chaque année, car il s'en vend des quantités assez impressionnantes. Il faut qu'on soit sûr que le client ne sera pas déçu. Cela permet aussi de conseiller d'aérer au cas où le vin serait réduit (il ne l'est pas, cette fois-ci). Sur un millésime comme 2015, je n'étais pas trop inquiet de la qualité. Je voulais tout de même être certain qu'il reste dans le style "vin de soif". Ouf, tout va bien (même si je ne peux que vous conseiller d'attendre encore quelques mois avant de l'ouvrir : il vient d'être embouteillé).

La robe est pourpre violacée translucide.

Le nez frais et franc évoque la rafle, le marc de raisin qui sort du pressoir. Vous vous croiriez dans le chai d'Emile et Rose !

La bouche est ronde, veloutée, au fruit expressif, très cerise bigarreau, noyau inclus, avec un côté gourmand et digeste.

La finale est encore un peu serrée, avec des tannins qui demandent à s'assouplir. Mais c'est le fruit qui sort vainqueur, souligné par moultes épices.

Comme ce vin est souple et pas trop typé, il s'accommode de la plupart des plats, à part peut-être les huîtres et le caviar. Là, avec tous les sous que vous aurez économisé en achetant ce vin (6,40 €), vous pourrez vous offrir du Champagne ;-)


jeudi 21 juillet 2016

Dernière cueillette : d'la bombe !


Cette cuvée Dernière cueillette qui s'appelait autrefois Delphine de Margon est l'un des "ancêtres" de vins étonnants. Quand j'étais jeune, j'ai acheté à Eric R le premier millésime de celle-ci : le 2001. Un vin de ouf que j'ai acheté par caisse entière. Aujourd'hui, il est moins destroy dans son aromatique, mais c'est tout de même une sacrée bombe que l'on n'a pas tous les jours dans son verre. Heureusement, d'ailleurs : on s'en lasserait vite. Mais de temps en temps, cela fait un sacré bien de pousser à fond le niveau de résistance des papilles, un peu comme on écoute de temps en temps un morceau de Métallica (ou le groupe métalleux que vous préférez) en mettant l'ampli au maximum. 

La robe est d'un or intense, libérant de grosses larmes sur les parois du verre.

Le nez envoie du lourd, sur le beurre noisette, les fruits secs grillés, la brioche toastée et la crème brûlée qui vient d'être passée au chalumeau.

La bouche est sphérique, tapissant le palais d'une matière riche, dense, à la limite de l'onctuosité, et d'une rare puissance aromatique. Mais toutefois, rien de lourd, grâce une tension qui dynamise l'ensemble.

La finale est explosive, donnant l'impression que votre palais a triplé de volume, avec un retour sur les notes perçues au nez, et une grande persistance sur des notes grillées/caramélisées/noisetées.

Un vin de ce niveau devrait valoir une vingtaine d'euros. Eh bien, sans le solder, messieurs dames,  je ne vous le vends pas 18 €, je ne vous le vend pas 15 € ... mais 13,95 € ! Par contre, à ce prix, il n'est ni repris, ni échangé. Faut pas déc... , non plus.




mardi 19 juillet 2016

Bordaxuria : visite passionnante du domaine


Le domaine Bordaxuria, comme pas mal d'entre vous le savent, est l'un de mes grands coups de cœur de ces derniers mois, que ce soit pour son Irouléguy blanc ... ou son Irouléguy rouge. Ayant l'occasion de passer pas trop loin lors du pont du 14 juillet, j'en ai profité pour aller voir avec deux amies ces p'tits jeunes qui m'ont épaté. Nous n'avons rencontré que Elorri Reca, la partie féminine du duo. Mais comme vous le constaterez rapidement, elle n'est là pour faire de la figuration. 


J'ai pris depuis dix ans l'habitude d'enregistrer mes visites dans les domaines. Cela me permet de retranscrire plus fidèlement les propos des vigneron(ne)s. À partir de maintenant, c'est donc Elorri qui qui s'exprime : "ici, c’était la ferme de mon père, transformée en domaine viticole. Et à Saint-Just Ibarre, il y a la ferme de ma mère qu’ont reprise mes deux sœurs, où il y a les brebis, la production de lait, de fromages, de viandes et même de jus de pomme. Ma sœur aînée a aussi une formation viticole. Elle vient nous aider aux vendanges, mais elle préfère travailler à la ferme. Mon père, à la retraite, vient régulièrement nous donner un coup de main. 

Mes parents étaient autodidactes, ils n’avaient pas de connaissance technique de la vigne. Alors que mon compagnon, Brice Robelet, et moi, nous nous sommes lancés dans l’aventure après voir fait des études. Ils nous font confiance, et nous faisons tout pour qu’elle soit méritée. Les premières vendanges communes, c’était génial, autant à leurs yeux qu’aux nôtres. Une  façon de passer le relais. 

Lorsque nous avons repris la propriété en 2010, nous avons d’abord commencé à prendre soin des vignes. Nous  n’avons débuté les vinifications qu’en 2014. Dès que nous nous sommes installés, nous nous sommes mis au bio, sans demander la certification, histoire de voir si ça se passait bien dans les vignes. En 2015, nous avons démarré une conversion officielle. Nous serons certifiés bio en 2018 si tout se passe bien. "



"Nous avons  7 hectares de vigne en production qui appartenaient à mes parents, et nous avons planté une nouvelle parcelle en contrebas – du Petit Manseng,  du Gros Manseng et du Petit Courbu. Et une autre de Cabernet Franc sera bientôt plantée. Cela fera en tout 10 hectares. Nous essayons de rééquilibrer l'encépagement. Le Cabernet Franc donne des jolies choses." 

À gauche, la parcelle en repos qui sera bientôt replantée. Au fond, Saint-Jean Pied de Port
"Nous nous posons beaucoup de questions sur le matériel végétal. Nous avons mis en place un conservatoire avec une soixantaine de plants issus de vieux pieds de Cabernet Franc et de Tannat. Contrairement aux  clones actuels, ils résistent à l’Esca. Ce champignon s’attaque à des pieds de plus en plus jeunes.

Nous nous sommes formés à la taille Poussard afin de favoriser la circulation de la sève dans les ceps.Nous nous servons de plants issus de nos vieilles vignes, greffés par le pépiniériste Lilian Berillon. Il fait de la greffe ancienne en fente. Elle pose moins de problèmes que la greffe mécanique en oméga. Le problème de cette dernière, c’est que les tests ne permettent pas de voir si les tissus sont bien soudés. Alors qu’avec la greffe en fente, si le test est positif, c’est que la soudure est réussie. Sinon, elle casse."

Quelques pieds en échalas, un clin d'oeil à Brice Robelet, le compagnon d'Elorri, originaire de Condrieu
"Par ailleurs, sur une autre parcelle, nous n’avons planté que le porte-greffe. L’idée est de laisser se développer son système racinaire. Nous sommes en train de nous former pour greffer sur place en écusson. Il faut mettre le greffon sous l’écorce. C’est très fin. On ne fait quasiment pas de plaie. La différence avec un greffé-soudé est énorme en terme de colonisation du sol par les racines. L’année où l’on greffe l’œil, il y a déjà un début de production car le système racinaire est bien développé."

Le chemin en dur mis en place par le père d'Elorri. Il y avait trop de ravinement suite aux pluies fréquentes
"Le vignoble repose sur du grès, une roche dure souvent affleurante. Les parcelles les plus hautes sont plantées sur une ancienne carrière. Ils descendaient les blocs pour en faire des pierres de taille. Plus on monte, plus les conditions sont difficiles pour la vigne, avec seulement 20 cm de sol. Alors qu’en bas, il est plus profond, mais aussi plus limoneux, avec un peu de craie.

Les blancs sont plutôt en bas de pente, car ils ne nécessitent pas une forte contrainte hydrique pour donner des raisins de qualité. Comme le Petit Manseng n’est pas un cépage généreux – il a des grappes lâches, avec des petites baies – autant le mettre où il profite un peu plus."


"Il y a 250 hectares de plantés en appellation Irouléguy, dont 150 sont vinifiés à la cave coopérative. Il n’y a que 12 vignerons indépendants (domaines entre 3 et 15 ha). Le potentiel de développement est immense, puisqu’il y a 1200 ha classés en AOP. Le problème, c’est que les terres appartiennent à des éleveurs de brebis :  cela ne leur paraît pas suffisamment rentable de les louer en fermage ou de les vendre. Ce qui nous intéresserait serait de trouver des parcelles pas trop pentues pour ne pas avoir à créer des terrasses. Mais elles sont souvent inaccessibles".

Le vent très présent à Irouléguy aide à sécher les feuilles après les épisodes humides, mais il facilite aussi la dissémination des spores. Nous sommes tout de même plus avantagés qu’une région comme Bordeaux, car leurs sols sont beaucoup plus riches en argiles qui relarguent l’eau tout de suite.

Ceci dit, il pleut aussi beaucoup chez nous : 1800 mm par an ! Et ce début d’année est un record en la matière. Notre chance par rapport à d’autres régions, c’est que les sols sont drainants, nos vignes sont en coteaux avec une exposition plein sud et une bonne ventilation. "

Une couleuvre prend le soleil au pied des vignes
"2014 était une année particulière, avec des très très petits rendements. Et nous avions l’impact du mois de juin 2013, froid et humide. C’est à ce moment-là que se forment les ébauches de grappe de l’année suivante. Au printemps, nous voyions les bois pousser sans les grappes. Les rendements ont été de 15 hl/ha, mais il y avait une très belle maturité, avec une grande concentration. La qualité des peaux nous a permis de faire des macérations pelliculaires sur les blancs.

En 2015, les conditions étaient meilleures et les rendements un peu plus élevés. Les peaux des raisins noirs étaient belles : nous avons pu faire des extractions de 30 jours. "


"Les terrasses ont  permis de planter à des endroits où il était impossible de le faire autrefois, mais la contrepartie est qu’il y a peu de pieds  à l’hectare. Lorsqu’il n’y a qu’un rang de vigne par terrasses, nous sommes à 2000 pieds, et le double lorsqu’il y a deux rangs. Le problème, c’est qu’on ne trouve pas de machines pour tondre de l’autre côté du rang. La débroussailleuse à dos sur 7 ha  en été !...

Et puis les rendements sont faibles si l’on veut produire un vin de qualité : environ 25 hl/ha. Donc beaucoup de travail pour peu de vin au final. Donc forcément, le prix de production est répercuté sur la bouteille. Quand j’entends les gens me dire « c’est cher pour un Irouléguy », ça m’énerve. Mon compagnon est originaire de Condrieu : ils font là-bas des rendements plus élevés et vendent leurs vins à 30-40 € la bouteille. Et personne ne leur dit rien ! 


"Tous les outils que nous récupérons doivent être adaptés.  En bio, le must est de faire du face par face. Mais ce serait trop compliqué avec nos terrasses. Du coup, utilisons un pulvérisateur classique sur lequel nous avons branché un canon à eau géré par le conducteur avec un vérin qui permet de pulvériser par le haut l'autre côté. Malgré tout, il est difficile de faire correctement les deux faces. C’est souvent là qu’il y a des départs de mildiou."


La salle de dégustation où sont aussi organisées des soirées autour des produits fermiers familiaux.


"Nous nous donnons tellement de mal à la vigne pour avoir de beaux raisins que nous essayons de les respecter au mieux au chai. Nous sommes une douzaine  à vendanger. Nous ne ramassons que le matin. Nous stockons le raisin dans la pièce à côté, et après ... nous passons à table ! 

Après le repas, ce sont les mêmes qui trient la vendange. Les raisins noirs sont éraflés puis hissés dans les cuves avec la girafe. Au bout de celle-ci, il y  a un fouloir qui pince la peau afin de libérer le jus.  Cela se fait au dernier moment pour limiter l’oxydation. Il est utilisé pour les Cabernets, mais pas pour le Tannat qui a la peau très fine. Pour les raisins blancs, la girafe est utilisée pour les amener dans le pressoir pneumatique. La girafe sert aussi pour les décuvages. 

Nous vinifions les raisins par parcelle – par niveau d’altitude. Mes parents ont bien fait les choses : ils ont complanté les différents cépages à chaque niveau. Cela permet d’avoir des expressions variées de chacun en fonction des profondeurs de sol et de l’altitude. Nous prolongeons ce  choix parcellaire lors de l’élevage. Cela nous permet de mieux comprendre le potentiel de chaque parcelle. 

Nous faisons un remontage – avec une pompe très douce – ou un pigeage par jour durant la fermentation. Lorsque l’alcool est là, nous décidons à la dégustation si nous continuons à la même cadence, ou un  jour sur deux. Le pigeage se fait soit à la main, soit avec les pieds en plaçant une échelle en travers de la cuve. Nous sommes très délicats car il ne faut pas déchirer les peaux."



"Pour l’élevage des vins rouges, nous travaillons avec trois matériaux : le bois, l’inox et le béton. Les plus légers vont aller en cuve inox, les intermédiaires – ceux qui ont des tannins plus présents, mais ronds et fondus – en cuve béton. Ce matériau est poreux : ils vont donc évoluer un peu. Les plus corpulents vont en barrique. Il faut de la matière pour que le bois ne prenne pas le dessus." 


"Pour les vins blancs, un tiers font la fermentation et l’élevage sur  lies en barriques – nous n’y touchons pas – et les deux-tiers en cuve inox. C’est  l’assemblage des deux qui va apporter la complexité finale : l’inox va apporter le fruit de départ, le bois va apporter la texture en bouche.  

Nous ne travaillons pas avec du bois neuf. Il est donc difficile de collaborer avec un tonnelier. Nos barriques proviennent d’un vigneron de Crozes-Hermitage qui s’en servait pour ses vins blancs. Nous y entonnons d’abord les blancs, et puis les rouges l’année suivante."

Démonstration du système Oxoline par Elorri
"Nous utilisons un système Oxoline® qui permet de faire pivoter les barriques sur elles-mêmes sans le moindre effort. Nous pouvons aussi les déplacer facilement avec un transpalette. Elles nous servent pour « bâtonner » les blancs – remettre les lies en suspension – sans avoir besoin d’ouvrir les barriques. Cette méthode préserve mieux les vins de l’oxydation."


Rosé 2015 (Cabernet Sauvignon/Tannat). "Il résout le problème de la maturité des peaux du Cabernet-Sauvignon. C’est un rosé de pressée.  Ce qui nous intéresse ici, c’est la pulpe des raisins." La robe est d’un rose plus prononcé qu’en Provence, mais moins qu’un Clairet. La bouche, elle, est plus proche d’un blanc, avec une tension précise et une fine acidité qui trace. Tout cela est enrobé d’une matière ronde, limite pulpeuse. La finale est mâchue, typée, marquée par le bourgeon de cassis.  

Irouléguy blanc 2014 : nez complexe, profond, riche et frais à la fois. Bouche qui allie maturité et fraîcheur, avec une tension inflexible, mais pas rigide. Un équilibre d’école, proche de la perfection.

Irouléguy blanc 2015 : nez un peu plus riche que le précédent, avec une légère touche boisée. Bouche plus enveloppante, d’une grande intensité, avec une acidité encore mieux intégrée. Je persiste sur mon impression précédente : ce vin est une petite merveille !

"Nous avons moins d’acide malique qu’à Jurançon. Ce qui explique que nous avons souvent un profil moins tendu, sans avoir besoin de faire de fermentation malolactique."


Irouléguy rouge 2014 (60 % Cabernet Franc, 40 % Tannat) : nez sur la cerise noire, la myrtille et les épices douces. Bouche douce, veloutée, profonde, avec beaucoup de fraîcheur. Finale puissante, mais pas agressive.

Irouléguy rouge Kixka 2014 (90 % Tannat, 10 % Cabernet Franc - élevage bois) : nez Sud Ouest « bien élevé ». Bouche puissante, structurée, avec des tannins bien marqués, mais parfaitement mûrs. Finale dans la continuité, avec de la salinité. Vin à boire avec un confit de canard !


Elorri nous a fait goûter le fromage de brebis produit ses sœurs. Aussi bon, avec le blanc qu'avec le rouge, même si j'ai une légère préférence pour le blanc ;-) Elle nous a fait aussi découvrir le saucisson de mouton enrichi au gras de jambon de porc basque. Une petite merveille à un prix cadeau (5 €)


Conclusion : j'ai visité beaucoup de domaines réputés dans ma vie. Ils excellent souvent dans certaines parties du process viti-vinicole, mais négligent souvent d'autres points. À Bordaxuria, on sent que tout a été pensé, avant même que le pied de vigne ait été planté. C'est évidemment une chance de démarrer sa carrière de vigneron en 2010 : cela permet de ne plus répéter les bêtises qu'ont pu faire les aînés. Et pourtant, parmi les jeunes, pas tant que cela ont le souci d'excellence d'Elorri et de Brice. 

En dégustant leurs vins il y a un mois, je pressentais que le couple était doué pour avoir réussi aussi bien ses deux premiers millésimes. Je sais maintenant que cela n'a rien à voir avec le hasard : ils ont des outils performants, un véritable savoir-faire et une volonté de faire les meilleurs vin possibles. Les trois réunis, cela donne de très belles choses !